Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo SRI AUROBINDO - YOGA INTEGRAL: mars 2012

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

CONSCIENCE COSMIQUE ET NIRVANA


  En ce qui concerne la conscience cosmique et le nirvâna. La conscience cosmique est une affaire complexe. Pour commencer, elle a deux faces, d'une part l'expérience du Soi libre, infini, silencieux, inactif, un en tout et au-delà de tout, et d'autre part l'expérience directe de l'Energie cos­mique et de ses forces, jeux et formations, cette dernière expérience devenant seulement complète lorsqu'on a la sen­sation d'être coextensif avec l'univers ou de l'imprégner en entier, de le dépasser et de le contenir. Jusqu'à ce moment il peut y avoir des contacts directs, des communications, des échanges avec des forces, des êtres, des mouvements cosmiques, mais non la pleine unité du mental avec le Men­tal cosmique, de la vie avec la Vie cosmique, du corps et de la conscience physique avec l'Energie matérielle cosmique et sa substance. Il peut aussi y avoir une réalisation du Soi cosmique qui ne soit pas suivie par la réalisation de l'unité universelle dynamique. Ou au contraire il peut y avoir quel­que universalisation dynamique de conscience sans l'expé­rience du Soi statique libre, partout omniprésent — le souci des énergies plus grandes dont on aurait ainsi l'expérience et le plaisir que l'on y prendrait fermeraient la voie vers cette libération. Par ailleurs, l'identification, ou universali­sation, peut être sur un plan ou niveau plus que sur un autre, avec prédominance mentale ou prédominance émotive (par sympathie ou amour universels) ou vitale d'une autre espèce (expérience des forces de la vie universelle) ou physi­que. Mais en tout cas, même avec la pleine réalisation, la pleine expérience, il devrait être évident que ce jeu cosmi­que serait une chose que l'on finirait par trouver limitée, ignorante, imparfaite de par sa nature même.
  L'âme libre pourrait le considérer sans être touchée ni émue par ses imperfections et ses vicissitudes, faire un tra­vail qui lui est assigné, essayer d'aider tous ou d'être un instrument du Divin, mais ni le travail ni l'instrumentation n'approcheraient de la perfection du Divin, ni n'auraient même sa pleine lumière, son entier pouvoir, sa totale béati­tude. Cela ne pourrait s'acquérir que par une ascension dans les plans les plus hauts de l'existence cosmique ou par leur descente dans notre conscience. Et si cela n'était pas envisagé, ou pas accepté, la poussée vers le nirvâna ouvri­rait encore une voie pour s'échapper : la montée après la mort jusqu'en ces plans supérieurs — les paradis des reli­gions, qui après tout ne signifient pas autre chose que l'aspiration à une Existence divine béatifique, lumineuse, plus grande.
  Mais, pourrait-on demander, si les plans supérieurs, ou le Surmental lui-même, venaient à manifester leur conscience avec toute leur puissance, lumière, liberté, vastitude, et si ces choses venaient à descendre dans une conscience indivi­duelle ici-bas, cela ne ferait-il pas disparaître la nécessité à la fois de la négation cosmique ou de la poussée nirvânique et de l'aspiration à quelque divine Transcendance ? Dans le résultat, on pourrait bien vivre en union avec le Divin dans une conscience libre, vaste et lumineuse qui embrasse en soi l'univers et qui soit un canal pour de grandes énergies ou créations, spirituelles ou extérieures, mais ce monde-ci reste­rait fondamentalement le même. Il y aurait un gouffre de différence entre l'Esprit au-dedans et son instrument et la matière sur laquelle il agit, entre la conscience intérieure et le monde dans lequel elle travaille. L'accomplissement inté­rieur, subjectif, individuel pourrait être parfait, mais les conséquences dynamiques insuffisantes, disparates, mélan­gées, et non pas une parfaite harmonie de l'intérieur et de l'extérieur, un nouveau rythme intégral d'existence ici-bas que l'on pourrait vraiment appeler divin. Seule une cons­cience comme le Supramental, non conditionnée et en par­faite unité avec sa source, une Conscience de Vérité ayant pouvoir de créer ses propres déterminations libres serait capable d'instaurer ici, dans le plus bas échelon de l'hémis­phère inférieur, quelque harmonie parfaite et rythme parfait de l'hémisphère supérieur.
  Qu'elle doive le faire ou non dépend de la signification de l'existence évolutive ; cela dépend si cette existence est de par sa nature même quelque chose d'imparfait et de voué à l'échec final — auquel cas le but ultime de l'âme serait de s'échapper de cet univers dépouvu de sens, soit par une voie négative de transcendance, par quelque sorte de nir­vâna, soit par une voie positive de transcendance, peut-être en brisant l'éclatant bouclier du Surmental, hiranmaya patra, en ce qui est au-dessus de lui, à moins en vérité que l'on ne soit, comme le Bouddha Amitâbha, retenu par la compassion, ou encore que la Volonté divine au-dedans continue à aider ceux qui sont ici dans l'obscurité de l'Igno­rance et à prendre part à leur lutte pour s'élever vers la Lumière. Si au contraire ce monde-ci est une Uilâ d'involu­tion et d'évolution spirituelles dans laquelle doivent apparaî­tre les puissances l'une après l'autre, jusqu'à la plus haute, comme sont déjà apparus la Matière, la Vie et le Mental, hors d'une Inconscience indéterminée apparente, alors une autre culmination est possible.
  La poussée vers le nirvâna a derrière elle deux forces motrices. L'une est le sens de l'imperfection, de l'affliction, de la mort, de la souffrance dans ce monde — le mobile originel du Bouddha. Mais pour échapper à ces douleurs, le nirvâna pourrait ne pas être nécessaire, s'il existe des mon­des supérieurs dans lesquels on peut monter et où il n'y a pas de telles imperfections, l'affliction, la mort et la souf­france. Cette autre possibilité d'évasion se heurte cependant à l'idée que ces mondes supérieurs sont aussi transitoires et font partie de l'Ignorance, que l'on doit toujours revenir ici-bas jusqu'à ce que l'on triomphe de l'Ignorance, que Réalité et expérience cosmique sont opposées et incompati­bles comme Vérité et Erreur. Cela nous amène à la seconde force motrice, l'appel à la transcendance. Si le Transcen­dant n'est pas seulement supracosmique, mais un distant Incommunicable, avyavahâryam, que l'on ne peut atteindre, sinon par une négation de tout ce qui est ici, alors on ne peut éviter quelque sorte de nirvâna, et même un nirvâna absolu. Si au contraire le Divin est transcendant mais non incommunicable, l'appel sera toujours là et l'âme abandon­nera le jeu cosmique bariolé pour la béatitude de l'existence transcendante, mais un nirvâna absolu ne serait pas indis­pensable ; une union béatifique avec le Divin s'offre au chercheur comme la voie. C'est pourquoi la Conscience cos­mique n'est pas suffisante et la tendance à s'en écarter est si forte. Il ne peut en être autrement que si le couvercle d'or du Surmental est dépassé et ouvert, et si l'aboutisse­ment cherché est le contact dynamique avec le Supramental et une descente ici-bas de sa Lumière et de son Pouvoir. 

SUR LE NIRVANA


  Lorsque j'écrivais dans l'« Arya », j'exposais au mental l'aspect surmental des choses et je l'exprimais en termes mentaux ; c'est pourquoi j'ai parfois dû faire usage de logi­que. Car dans un tel travail — servir de médiateur entre l'intellect et le supra-intellect — la logique a sa place, bien que ce ne puisse être la place principale qu'elle occupe dans les philosophies purement mentales. Le mâyâvâdin lui-même peine pour démontrer son point de vue ou son expérience par un raisonnement logique rigoureux. Seulement — tout comme le savant aux prises avec la nature — lorsqu'il en arrive à l'explication de Mâyâ, il ne peut faire plus qu'orga­niser et ordonner ses pensées sur le processus de cette mystification universelle. Il ne peut expliquer ni comment ni pourquoi sa Mâyâ illusoire et trompeuse en est venue à être. Il ne peut que dire : « Le fait est qu'elle EST. »
  Certes, elle est. Mais la première question est : qu'est-ce ? N'est-ce vraiment qu'une Puissance d'Illusion et rien d'autre, ou l'idée que s'en fait le mâyâvâdin n'est-elle qu'une conception première et erronée, un déchiffrement mental imparfait, qui n'est peut-être lui-même qu'illusion ?
Et puis « l'Illusion est-elle l'unique ou suprême pouvoir dont dispose la conscience ou la supraconscience divine ? » L'Absolu ne peut être que Vérité absolue libre de toute Mâyâ, autrement la libération ne serait pas possible. La Vérité suprême et absolue ne possède-t-elle donc pas d'autre pouvoir actif que celui du mensonge, et avec lui sans doute, car les deux vont ensemble, celui de dissoudre ou de renier le mensonge — qui pourtant est là, et à jamais ? J'exprimais l'idée que cela semblait un peu bizarre. Mais bizarre ou pas, si c'est ainsi, c'est ainsi. Comme vous le dites, l'Ineffable ne peut en effet être soumis aux lois de la logi­que. Mais qui va décider s'il en est ainsi ? Ceux qui y par­viennent, direz-vous. Mais qui parviennent où ? Au parfait et au suprême, pûrnam param. Le Brahman sans attributs des mâyâvâdins est-il ce Parfait, ce Complet ? Est-ce vrai­ment ce qu'il y a de plus élevé ? N'y a-t-il pas, ne peut-il y avoir quelque chose de plus élevé encore que ce Suprême, parât param ? Il ne s'agit pas là de logique, il s'agit d'un fait spirituel, d'une expérience suprême et complète. La solution du problème ne doit pas se fonder sur sa logique, mais sur une expérience spirituelle toujours croissante, tou­jours plus élevée, toujours plus vaste — une expérience qui doit certes comprendre ou avoir traversé le stade du nirvâna et de la Mâyâ ; autrement elle serait incomplète et n'aurait aucune valeur décisive.
(Sri Aurobindo, Lettre sur le Yoga III



  Il est assez difficile de dire aujourd'hui ce qu'était en réalité la philosophie de Shankara ; il y en a d'innombrables représentants et pas deux d'entre eux ne sont d'accord. J'en ai lu des exposés donnés par des ving­taines de ses exégètes, et chacun suivait sa propre ligne. Certains même nous disent qu'il n'était aucunement mâyâ­vâdin (bien qu'il ait été célébré comme le plus grand défen­seur de la théorie de Mâyâ) et qu'au contraire il a été le plus grand réaliste dans l'histoire de la philosophie. Un de ses éminents disciples a même déclaré que ma philosophie et celle de Shankara étaient identiques, affirmation qui m'a quelque peu coupé le souffle.
  On avait l'habitude de considérer que selon la philosophie de Shankara, la Réalité suprême est un Absolu non spatial et non temporel (Parabrahman) qui est au-delà de tout caractère et de toute qualité, au-delà de toute action ou création, tandis que le monde est une création de Mâyâ, non pas absolument irréel, mais réel seulement dans le temps, pendant que l'on vit dans le temps ; une fois que' nous pénétrons dans la connaissance de la Réalité, nous percevons que Mâyâ et le monde et tout ce qu'il contient n'ont aucune existence durable ou vraie. Le monde est, sinon non existant, tout au moins faux, jagan mithyâ, il est une erreur de la conscience, il est et il n'est pas ; il est dans son origine un mystère irrationnel et inexplicable, bien que nous puissions en voir le processus ou tout au moins com­ment il persiste à s'imposer à notre conscience. Brahman est vu en Mâyâ comme Ishvara soutenant les oeuvres de Mâyâ, et ce qui apparaît comme âme individuelle n'est en réalité pas autre que Brahman lui-même. Finalement tout cela sem­ble pourtant être un mythe de Mâyâ, mithyâ, et rien de réellement vrai. Si telle est la philosophie de Shankara, elle est pour moi inacceptable et incroyable, si brillamment ingénieuse qu'elle puisse être, si audacieux et incisif qu'en soit le raisonnement ; elle ne satisfait pas ma raison et elle ne correspond pas à mon expérience.
  Je ne sais pas exactement ce que l'on entend par ce yukti-vâda. Si l'on veut dire que c'est simplement pour triompher des contradicteurs, alors cette partie de la philo­sophie n'est pas fondamentalement valable ; la théorie de Shankara se détruit elle-même. Ou bien il voyait en elle une explication suffisante de l'univers, ou bien tel n'était pas le cas. Dans la première hypothèse il ne sert à rien de l'écarter comme yukti-vâda. Je peux comprendre l'affirmation mâyâ­vâdique absolue que la question tout entière est illégitime, parce que Mâyâ et le monde n'ont pas d'existence réelle ; en fait la question « Comment le monde a-t-il pris nais­sance ? » fait partie de Mâyâ, est irréelle comme Mâyâ et ne se pose pas vraiment. Mais si l'on doit donner une expli­cation, il faut qu'elle soit réellement et valablement satisfai­sante. S'il y a deux plans et si en posant la question nous les confondons, l'argument ne peut avoir de valeur que s'ils ont quelque sorte d'existence, si le raisonnement et l'expli­cation sont vrais sur le plan inférieur, mais cessent d'avoir un sens pour une conscience qui en est sortie. 
(Sri Aurobindo, Lettre sur le Yoga I


  Pour les rares individus qui sont sortis de l'igno­rance et qui entrent dans le nirvâna, il n'est pas question qu'ils montent directement dans des mondes supérieurs de manifestation. Le nirvâna ou moksha est un état de libéra­tion de l'être, mais ce n'est pas un monde, c'est un retrait hors des mondes et de la manifestation. On ne saurait guère faire mention à ce sujet de l'analogie avec pitriyâna et dévayâna
(Sri Aurobindo, Lettre sur le Yoga II)


  On ne peut pas situer le nirvâna en tant que monde ou plan, car la poussée nirvânique nous conduit vers un retrait du monde et de ses valeurs ; c'est par conséquent un état de conscience, ou plutôt de supraconscience, sans résidence et sans niveau. Il y a plus d'une sorte possible de nirvâna (extinction ou dissolution). Etant un être mental dans un corps, manomaya purusha, l'homme fait cette ten­tative pour se retirer du cosmos par le mental spiritualisé il ne peut pas agir autrement, et c'est cela qui donne l'apparence d'une extinction ou dissolution, laya, nirvâna. Car la voie naturelle est l'extinction du mental et de tout ce qui en dépend, y compris l'ego séparateur, dans quelque Au-delà — c'est presque la voie indispensable pour un tel retrait. Dans un yoga plus affirmatif qui vise à la transcen­dance et non au retrait, elle n'aurait pas ce caractère indis­pensable, car il y aurait la voie dont j'ai parlé déjà condui­sant à un dépassement de soi ou à une transformation de l'être mental. Mais il est aussi possible d'y arriver en pas­sant par une certaine expérience du nirvâna, un silence absolu du mental, une cessation tellement complète des acti­vités, constructions et représentations que non seulement pour le mental silencieux, mais aussi pour les sens récep­teurs le monde soit vidé de sa solidité et de sa réalité, et que les choses n'apparaissent que comme des formes sans substance dépourvues de tout domicile réel, ou encore comme flottant en quelque chose qui est un infini sans nom ; cet infini, ou bien quelque chose qui est encore au-delà, est Cela qui seul est réel.
  L'état qui en résulterait est un calme absolu, la paix, la libération. L'action continuerait, mais sans que la cons­cience libérée silencieuse l'initie ou y participe. Un pouvoir sans nom accomplirait tout jusqu'à ce que commence la descente d'en haut qui transformerait la conscience et ferait de son silence et de sa liberté une base pour une connais­sance, une action, un ânanda lumineux. Mais un tel passage serait rare. En général, pour que l'œuvre supérieure soit possible, il suffirait d'un silence du mental, d'une libération de la conscience, d'une renonciation à sa croyance en la valeur finale ou en la vérité des représentations ou construc­tions imparfaites du mental.
(Sri Aurobindo, Lettre sur le Yoga I)





QU'EST-CE QUE LE NIRVANA?



Les gens parlent volontiers de l'advaïta comme s'il était identique au monisme du Mâyâvâda, de même qu'ils parlent du Védânta comme si ce n'était que l’advaïta ; tel n'est pas le cas. Il y a plusieurs formes de philosophie hindoue qui prennent pour base la Réalité Une, mais qui admettent aussi la réalité du monde, la réalité du Multiple, la réalité des différences du Multiple aussi bien que celle de l'identité de l'Un (bhedâbheda). Mais le Multi­ple existe dans l'Un et par l'Un, les différences sont des variations dans la manifestation de ce qui fondamentale­ment est toujours le même. Nous voyons cela en fait comme la loi universelle d'existence, où l'unité est toujours la base, avec une multiplicité et une variété sans fin dans l'unité ; tout comme par exemple il y a une seule humanité, mais beaucoup d'espèces d'hommes, une chose que l'on appelle feuille ou fleur, mais beaucoup de formes, de types et de couleurs de feuilles et de fleurs. A travers cela nous pouvons remonter à l'un des secrets fondamentaux de l'existence, le secret que recèle elle-même l'unique réalité... 
  Un advaïta réaliste est possible, tout aussi bien qu'un advaïta illusionniste. Ainsi la philosophie de « La Vie divine » est un  advaïta réaliste. Le monde est une manifes­tation du Réel et par conséquent il est lui-même réel. La réalité est le Divin infini et éternel, la Conscience-Force et la Béatitude infinis et éternels. Ce Divin, par son pouvoir, a créé le monde, ou plutôt l'a manifesté en Son propre être infini. Mais ici dans le monde matériel, ou à sa base, il s'est caché dans ce qui semble être ses contraires : le Non-être, l'Inconscience, l'Insensibilité. C'est ce que nous appe­lons maintenant l'Inconscient qui semble, par son Energie inconsciente, avoir créé l'univers matériel, mais ce n'est là qu'une apparence, car nous finissons par découvrir que tous les arrangements du monde ne peuvent avoir été disposés que par l'action d'une intelligence secrète suprême. L'Etre caché dans ce qui paraît être un vide inconscient émerge dans le monde d'abord dans la Matière, puis dans la Vie, puis dans le Mental, et finalement en tant qu'Esprit. 
L’Énergie apparemment inconsciente qui crée est en fait la Conscience-Force du Divin, et son aspect de conscience, secret dans la Matière, commence à émerger dans la Vie, trouve un peu plus de soi-même dans le Mental, et trouve son être véritable dans une conscience spirituelle, et finale­ment dans une conscience supramentale par laquelle nous sentons la Réalité, nous y pénétrons et nous nous unissons avec elle. 
  C'est ce que nous appelons l'évolution, qui est une évolu­tion de conscience, une évolution de l'Esprit dans les cho­ses, et qui n'est qu'extérieurement une évolution de l'espèce. Et ainsi le délice d'existence émerge de l'insensibi­lité générale, d'abord dans les formes opposées du plaisir et de la douleur, puis doit se découvrir dans la béatitude de l'Esprit ou, comme l'appelaient les Upanishads, la béatitude du Brahman. C'est là l'idée centrale de l'explication de l'univers offerte dans « La Vie divine ». 
  Dans un advaïta réaliste, on n'a pas besoin de considérer le Saguna comme une création du Nirguna, ni même comme lui étant secondaire ou subordonné ; tous deux sont des aspects égaux de l'unique Réalité... Il est raisonnable de supposer que tous deux (le Multiple et l'Un) sont issus de la Réalité qui a manifesté l'univers et que tous deux sont réels. Nous ne pouvons nous débarrasser de l'apparente contradiction — qui en réalité n'est pas une contradiction, mais seulement une concomitance naturelle — qu'en consi­dérant l'un ou l'autre comme une illusion. Mais il n'est guère raisonnable de supposer que la Réalité éternelle per­met l'existence d'une illusion éternelle avec laquelle elle n'a rien à voir, ou qu'elle soutient et impose à l'être une vaine illusion cosmique et n'est capable d'aucune autre action, d'aucune action réelle. La force du Divin est toujours pré­sente dans le silence comme dans l'action, inactive dans le silence, active dans la manifestation. Il n'est guère possible de supposer que la Réalité divine n'a ni puissance ni force, ou que son seul pouvoir est de créer une fausseté univer­selle, un mensonge cosmique, mithyâ
  Sans aucun doute tous les composés, n'étant pas eux-mêmes des choses intégrales, mais des intégrations, peuvent se désintégrer. Il est également vrai de la vie — bien qu'elle ne soit pas un composé physique — qu'elle a une courbe de naissance et d'intégration et, après qu'elle a atteint un cer­tain point, de désintégration, de décrépitude et de mort. Mais ces idées, ces règles de l'existence, ne peuvent pas en toute assurance être appliquées aux choses en elles-mêmes. L'âme n'est pas un composé, mais un « integrum », une chose en soi ; elle ne se désintègre pas, tout au plus entre-t-elle dans la manifestation et en ressort-elle. Cela est vrai même des formes autres que le physique construit ou les formes vitales construites ; elles ne se désintègrent pas, mais apparaissent et disparaissent, ou tout au plus s'estompent hors de la manifestation. Le Mental lui-même, par opposi­tion à des pensées particulières, est quelque chose d'essentiel et de permanent ; c'est un Pouvoir de la Conscience divine. De même la Vie, par opposition aux corps vivants cons­truits ; de même aussi, je crois, ce que nous appelons l'énergie matérielle — et qui est en réalité la force de la substance essentielle en mouvement — est une Puissance de l'Esprit, Les pensées, les vies, les objets matériels sont des formations de ces énergies, construites- ou simplement mani­festées conformément au jeu habituel de l'énergie intéressée. Quant aux éléments, quel est l'état naturel pur d'un élément ? Selon la science moderne, ce que l'on avait coutume d'appeler éléments se révèle être des composés, et l'état naturel pur, s'il y en a un, doit être un état d'énergie pure. C'est en cet état pur que doivent passer les composés, y compris de ce que nous appelons les éléments, lorsque par désintégration ils entrent dans le nirvâna. 
  Qu'est-ce que le nirvâna ? Dans le Bouddhisme ortho­doxe, cela désigne une désintégration, non pas de l'âme —car elle n'existe pas — mais d'un composé mental, d'un courant d'associations ou de samskâras que nous prenons pour nous-même. Dans le Védânta illusionniste, cela désigne non pas une désintégration, mais une disparition d'un moi individuel faux et irréel en l'unique Soi réel ou Brahman ; c'est l'idée ou l'expérience de l'individualité qui ainsi dispa­raît et cesse ; nous pouvons dire que c'est une fausse lumière qui s'éteint (nirvâna) dans la vraie lumière. Dans l'expérience spirituelle, c'est quelquefois la perte de tout sens d'individualité dans une conscience cosmique sans borne ; ce qui était l'individuel ne subsiste que comme cen­tre ou comme canal pour le flot d'une conscience cosmique et d'une force et d'une action cosmiques. Ce peut être aussi l'expérience de la perte de l'individualité dans une cons­cience et un être transcendants, en lesquels disparaît le sens du cosmos ainsi que de l'individu. Ce peut être également dans une transcendance qui est consciente de l'action cosmi­que et la soutient. 
  Mais qu'est-ce que nous entendons par l'individu ? Ce que nous appelons généralement de ce nom est un ego natu­rel, un dispositif de la nature pour maintenir ensemble son action dans le mental et le corps. Cet ego doit être éteint, sinon aucune libération complète n'est possible ; mais le Soi ou âme individuelle n'est pas cet ego. L'âme individuelle est l'être spirituel, que l'on décrit parfois comme une éternelle portion du Divin, mais que l'on peut aussi décrire comme le Divin lui-même qui soutient sa manifestation, le Multiple. Tel est le véritable individu spirituel qui apparaît dans sa complète vérité lorsque nous nous débarrassons de l'ego et de notre faux sens, séparateur, de l'individualité, que nous réalisons notre unité avec le Divin transcendant et cosmique et avec tous les êtres. C'est cela qui rend possible la Vie divine. Le nirvâna est un pas dans cette direction ; la dispa­rition du faux sens, séparateur, de l'individualité est une condition nécessaire pour que nous réalisions notre être éternel véritable et que nous vivions en lui, pour que nous vivions divinement dans le Divin. Mais cela nous pouvons le faire dans le monde et dans la vie. 
  Si l'évolution est une vérité, et si elle n'est pas seulement une évolution physique de l'espèce, mais une évolution de conscience, elle doit être un fait spirituel et pas seulement un fait physique. Dans ce cas, c'est l'individu qui évolue et qui croît en une conscience de plus en plus développée et parfaite — et évidemment cela ne peut pas se réaliser dans le cours d'une seule et brève vie humaine. S'il y a évolution d'un individu conscient, il doit y avoir renaissance... On ne manque pas de preuves de la renaissance, et parfois d'une nature plus que convaincante, mais on ne les a pas encore enregistrées et assemblées méthodiquement. 
  Dans mon explication de l'univers, j'ai mis en avant ce fait cardinal d'une évolution spirituelle comme étant le sens de notre existence ici-bas. C'est une série d'ascensions depuis l'être et la conscience physiques jusqu'au vital, où l'être est dominé par le Moi vital, de là à l'être mental qui est réalisé dans l'homme pleinement développé, et de là dans la conscience parfaite qui est au-delà du mental, dans la conscience supramentale et l'être supramental, la Conscience-Vérité qui est la conscience intégrale de l'être spirituel. Le mental ne peut pas être notre expression cons­ciente dernière, parce que fondamentalement le mental est une ignorance qui cherche la connaissance ; c'est seulement la Conscience-Vérité supramentale qui peut nous apporter dans leur vérité et leur totalité la Connaissance de soi et la Connaissance du monde. C'est par elle seulement que nous pouvons parvenir à notre être véritable et à l'accomplissement de notre évolution spirituelle. 
(Sri Aurobindo, Lettre sur le Yoga I)








MAHASARASVATI

Mahâsaraswatî est la Puissance de travail de la Mère et son esprit de perfection et d'ordre. La plus jeune des Quatre, elle est la plus experte en capacité d'exécution et la plus proche de la Nature physique. Maheshwarî trace les grandes lignes des forces mondiales, Mahâkâlî actionne leur énergie et leur impulsion, Mahâlakshmî révèle leurs rythmes et leurs mesures, mais Mahâsaraswatî préside au détail de leur organisation et de leur exécution, à la relation des parties entre elles, la combinaison efficace des forces et l'exactitude infaillible dans le résultat et l'accomplissement. La science, l'art et la technique sont du ressort de Mahâsaraswatî. Elle contient dans sa nature et peut toujours donner à ceux qu'elle a choisis la connaissance intime et précise, la subtilité, la patience, l'exactitude de l'esprit intuitif et de la main consciente, et le regard pénétrant du travailleur parfait. Cette Puissance est la constructrice vigoureuse, infatigable, soigneuse et efficace, l'organisatrice, l'administratrice, la technicienne, l'artisane et la classificatrice des mondes. Quand elle entreprend la transformation et la reconstruction de la nature, son action est laborieuse et minutieuse, et bien sou¬vent à notre impatience, elle semble lente et interminable; mais elle est persistante, intégrale et sans défaut. Car sa volonté dans le travail est scrupuleuse, vigilante et infatigable; se penchant vers nous elle voit et touche chaque détail, découvre chaque infime défaut, lacune, perversion ou imperfection et considère et pèse exactement tout ce qui a été fait et tout ce qui reste encore à faire. Rien n'est trop petit ni trop trivial en apparence pour son attention; rien ne peut lui échapper, si impalpable, si déguisé ou caché que ce soit. Façonnant et refaçonnant, elle élabore chaque élément jusqu'à ce qu'il soit parvenu à sa forme vraie, mis à sa place propre dans l'ensemble et qu'il accomplisse son but précis. Dans sa constante et diligente organisation et réorganisation des choses, son regard est à la fois sur tous les besoins et sur la manière d'y faire face, son intuition sait ce qui doit être choisi et ce qui doit être rejeté, et détermine avec succès l'instrument propre, le temps propre, les conditions propres et l'opération propre. Elle abhorre l'indifférence, la négligence et la paresse, tout travail bâclé, inconsidéré et équivoque, toute maladresse, tout à-peu-près et tout raté, toute adaptation fausse, tout mauvais emploi des instruments et des facultés; et de laisser un travail non exécuté ou à demi exécuté est pénible et étranger à sa nature. Quand son travail est achevé, rien n'a été oublié, mal placé, omis ou laissé dans un état défectueux; tout est solide, précis, complet, admirable. Rien de moins qu'une parfaite perfection ne peut la satisfaire et elle est prête à affronter une éternité de labeur si cela est nécessaire à la plénitude de sa création. C'est pourquoi, de tous les Pouvoirs de la Mère, elle est la plus endurante avec l'homme et ses milliers d'imperfections. Douce, souriante, proche et secourable, ne se détournant et ne se décourageant pas aisément, persistant même après l'insuccès répété, sa main soutient chacun de nos pas à condition que nous soyons droits, sincères et que nous n'ayons qu'une volonté; car elle ne tolère aucune duplicité et son ironie révélatrice est impitoyable au drame, au cabotinage, à l'illusion et à la prétention. Une mère pour nos besoins, une amie dans nos difficultés, un conseiller et un mentor constant et tranquille, dissipant par son éclatant sourire les nuages de tristesse, de mauvaise humeur et de dépression, remémorant sans cesse l'aide toujours présente, montrant du doigt l'éternelle clarté du soleil, elle reste ferme, calme et persévérante dans l'élan profond et continu qui nous pousse vers l'intégralité de la nature supérieure. Tout le travail des autres Pouvoirs dépend d'elle pour sa perfection, car elle assure la base matérielle, élabore les détails, érige et rivette l'armature de la construction.

Sri Aurobindo, La Mère

MAHALAKSHMI

La Sagesse et la Force ne sont pas les seules manifestations de la Mère suprême; il y a dans sa nature un mystère plus subtil, sans lequel la Sagesse et la Force seraient incomplètes et la Perfection ne serait pas parfaite. Au-dessus d'elles est le miracle de l'éternelle Beauté, secret insaisissable des harmonies divines, la magie imposante d'un charme irrésistible et universel, d'une attraction qui attire et lie les choses, les forces et les êtres, et les oblige à se rencontrer et à s'unir afin qu'un Ananda caché puisse jouer de derrière le voile et faire d'eux ses rythmes et ses formes. Tel est le pouvoir de Mahâlakshmî et aucun aspect de la divine Shakti n'est plus attrayant pour le cœur des êtres incarnés. Maheshwarî peut paraître trop calme, trop grande et trop distante à approcher ou à contenir pour la petitesse de la nature terrestre, Mahâkâlî trop rapide et redoutable à supporter pour sa faiblesse; mais tous se tournent avec joie et ardeur vers Mahâlakshmî. Elle jette le sortilège de la douceur enivrante du Divin; être proche d'elle est un bonheur profond et la sentir dans son coeur fait de l'existence une extase et une merveille; la grâce, le charme et la tendresse émanent d'elle comme la lumière du soleil, et partout où elle fixe son regard merveilleux ou laisse tomber la beauté de son sourire, l'âme est saisie, captivée et plongée dans les profondeurs d'une félicité insondable. Magnétique est l'attouchement de ses mains; leur influence occulte et délicate purifie l'esprit, la vie et le corps, et là où elle presse ses pieds coulent les flots miraculeux d'un Ananda qui ravit.
Et pourtant il n'est pas facile de faire face aux exigences de ce Pouvoir enchanteur ou de conserver sa présence. L'harmonie et la beauté des pensées et des sentiments, l'harmonie et la beauté dans chaque mouvement extérieur, l'harmonie et la beauté de la vie et de l'entourage, voilà ce qu'exige Mahâlakshmî. Là où il y a une affinité avec les rythmes de la félicité secrète du monde, une réponse à l'appel de la Toute-Beauté, l'harmonie, l'unité et le flot joyeux de beaucoup de vies tournées vers le Divin, dans cette atmosphère elle consent à demeurer. Mais tout ce qui est laid, mesquin et vulgaire, tout ce qui est pauvre, sordide et misérable, tout ce qui est brutal et grossier empêche sa venue. Elle ne vient pas là où l'amour et la beauté ne sont pas nés ou ne naissent qu'à regret; là où ils sont mélangés à des choses plus basses, qui les défigurent, elle se détourne bientôt pour se retirer, ou ne se soucie point de donner ses richesses. Si, dans les cœurs des hommes, elle se trouve entourée d'égoïsme, de haine, de jalousie, de malveillance, d'envie et de conflit, si, la traîtrise, l'avidité et l'ingratitude sont mêlées au contenu du calice sacré, si la grossièreté de la passion et le désir impur dégradent la dévotion, dans de tels cœurs la déesse gracieuse et magnifique ne s'attarde pas. Un dégoût divin la saisit et elle se retire, car elle n'est pas de ceux qui insistent ou font effort; ou bien, voilant sa face, elle attend que le rejet et la disparition de cet amer poison diabolique lui permettent d'établir à nouveau son heureuse influence. Le dénuement et la sévérité ascétique ne lui sont pas agréables, non plus que la suppression des émotions les plus profondes du cœur et que la répression rigide des éléments de beauté de l'âme et de la vie. Car c'est par l'amour et la beauté qu'elle place sur les hommes le joug du Divin. Dans ses créations suprêmes, la vie est changée en une riche œuvre d'art céleste et toute existence en un poème de délice sacré; les richesses du monde sont assemblées et accordées pour un ordre suprême et même les choses les plus simples et les plus ordinaires deviennent merveilleuses par son intuition de l'unité et le souffle de son esprit. Admise dans le cœur, elle élève la sagesse au faîte de l'émerveillement, elle lui révèle les secrets mystiques de l'extase qui surpasse toute connaissance, elle répond à la dévotion par l'ardent attrait du Divin, enseigne à l'énergie et à la force le rythme qui garde harmonieuse et mesurée la puissance de leurs actes et elle projette sur la perfection le charme qui le fait durer à jamais.

Sri Aurobindo, La Mère

MAHAKALI

Mahâkâlî est d'une autre nature. Non l'étendue mais la hauteur, non la sagesse mais la force et l'énergie sont ses pouvoirs particuliers. Il y a en elle une intensité écrasante, une puissante passion de force d'accomplissement, une divine violence s'élançant pour briser toute limite et tout obstacle. Sa divinité entière bondit dans une splendeur d'action tempétueuse; elle est pour la promptitude, l'opération immédiatement efficace, le coup rapide et direct, l'assaut de front qui balaye tout devant lui. Terrible est son visage pour l'asoura, dangereuse et impitoyable sa disposition envers ceux qui haïssent le Divin, car elle est la Guerrière des Mondes qui ne recule jamais devant la bataille. Ne tolérant pas l'imperfection, elle traite rudement dans l'homme toute mauvaise volonté et elle est sévère pour ce qui est obstinément ignorant et obscur; son courroux est immédiat et terrifiant contre la traîtrise, le mensonge et la méchanceté; le mauvais vouloir est à l'instant frappé par son châtiment. Elle ne peut tolérer dans le travail divin l'indifférence, la négligence et la paresse et elle fustige aussitôt, pour réveiller par la douleur, si besoin est, le dormeur intempestif ou le traînard. Les impulsions rapides, droites et franches, les mouvements sans réserve et absolus, l'aspiration qui monte comme une flamme sont la marche de Mahâkâlî. Son esprit est indomptable, sa vision et sa volonté atteignent haut et loin comme le vol de l'aigle, ses pieds sont rapides sur la voie ascendante et ses mains se tendent pour frapper et secourir. Car elle aussi est la Mère; son amour est aussi intense que son courroux et sa bonté est profonde et passionnée. Lorsqu'il lui est permis d'intervenir avec toute son énergie, elle brise en un instant, comme des choses sans consistance, les obstacles qui immobilisent l'aspirant ou les ennemis qui l'assaillent. Si sa colère est redoutable pour l'hostile et la véhémence de sa passion pénible pour le faible et le craintif, elle est aimée et adorée par le grand, le puissant et le noble; car ils sentent que ses coups martèlent et transforment en énergie et en parfaite vérité ce qui est rebelle dans leur matière, redressent ce qui est faussé et pervers et expulsent ce qui est impur ou défectueux. Sans elle, ce qui est fait en un jour eût pu prendre des siècles; sans elle, l'Ananda pourrait être vaste et grave ou bien doux, tendre et beau, mais il perdrait la joie enflammée de ses intensités les plus absolues. À la connaissance, elle donne une puissance conquérante; elle apporte à la beauté et à l'harmonie un mouvement élevé et ascendant, et confère au lent et difficile labeur vers la perfection une impulsion qui multiplie le pouvoir et raccourcit le long chemin. Rien ne peut la satisfaire qui n'atteigne les extases suprêmes, les hauteurs les plus sublimes, les buts les plus nobles, les perspectives les plus vastes. Donc, avec elle est la force victorieuse du Divin et c'est par la grâce de son feu, de sa passion et de sa rapidité que le grand accomplissement peut prendre place maintenant au lieu de plus tard.

Sri Aurobindo, La Mère 

MAHESHWARI

Impériale, Maheshwarî se tient dans la vaste étendue, au-dessus de l'esprit pensant et de la volonté; elle les exalte et les magnifie jusqu'à la sagesse et la grandeur, ou elle les inonde d'une splendeur qui les dépasse. Car elle est la Puissante et Sage qui nous ouvre aux infinités supramentales, à l'immensité cosmique, à la magnificence de la Lumière suprême, au trésor de connaissance miraculeuse et au mouvement illimité des forces éternelles de la Mère. Elle est tranquille et merveilleuse, grande et calme à tout jamais. Rien ne peut l'émouvoir, car en elle est toute la sagesse; et rien ne lui est caché qu'elle choisit de savoir; elle comprend toutes choses et tous les êtres, leur nature et ce qui les meut, la loi du monde, ses époques et comment tout était, est et doit être. En elle est une vigueur qui affronte et dompte toutes choses et rien ne peut prévaloir à la fin contre sa sagesse vaste et intangible et son pouvoir tranquille et supérieur. Égale, patiente et inaltérable dans sa volonté, elle agit avec les hommes suivant leur nature, avec les choses et les événements suivant leur Force et la vérité qui est en eux. De partialité elle n'en a aucune, mais elle suit les décrets du Suprême; elle élève certains, et d'autres elle les abaisse ou les rejette loin d'elle dans l'obscurité. Au sage elle donne une sagesse plus grande et plus lumineuse; à celui qui a la vision, elle donne place à ses conseils; à l'hostile elle impose les conséquences de son hostilité, et elle conduit l'ignorant et le sot selon leur aveuglement. Dans chaque homme elle répond aux différents éléments de sa nature et les traite suivant leur besoin, leur impulsion et la réponse qu'ils appellent, place sur eux la pression voulue ou les laisse à leur liberté chérie pour prospérer dans les voies de l'Ignorance ou pour périr. Car elle est au-dessus de tout, n'est liée par rien, attachée à rien dans l'univers. Pourtant elle a plus que toute autre le cœur de la Mère universelle, car sa compassion est sans fin et inépuisable. À ses yeux tous sont ses enfants et des parcelles de l'Unique, même l'asoura, le râkshasa, le pishâtcha et ceux qui sont révoltés et hostiles. Ses rejets sont simplement un ajournement, ses punitions une grâce. Mais sa compassion n'aveugle pas sa sagesse ni ne détourne son action de la ligne décrétée; car la Vérité des choses est son seul intérêt, la connaissance est le centre de son pouvoir, et de construire notre âme et notre nature avec la Vérité divine est sa mission et son travail.

 Sri Aurobindo, La Mère 

MAHASHAKTI

La Mahâshakti, la Mère universelle, effectue tout ce que sa conscience transcendante transmet du Suprême et elle entre dans les mondes qu'elle a faits : sa présence les remplit et les soutient avec l'esprit divin, et avec la force et la félicité divines qui sustentent tout, et sans quoi ils ne pourraient pas exister. Ce que nous appelons la Nature, ou Prakriti, n'est que son aspect exécutif le plus extérieur. La Mahâshakti dispose et organise l'harmonie de ses forces et de ses procédés; elle contraint la Nature à ses opérations et se meut parmi elles, cachée ou manifestée en tout ce qui peut être vu, expérimenté ou mis dans le mouvement de la vie. Chacun des mondes n'est rien d'autre qu'un jeu de la Mahâshakti de ce système de mondes ou univers, et qui y réside, comme l'Âme et la Personnalité cosmiques de la Mère transcendante. Chacun est une chose qu'elle a vue dans sa vision, accueillie dans son cœur de beauté et de pouvoir et créée dans son Ânanda. 
Mais il y a beaucoup de plans de sa création, beaucoup de pas de la Shakti divine. Au sommet de cette manifestation dont nous faisons partie, il y a les mondes d'existence, de conscience, de force et de félicité infinies, au-dessus desquels la Mère se tient comme le Pouvoir éternel dévoilé. Là, tous les êtres vivent et se meuvent dans une plénitude ineffable et une unité invariable, parce qu'elle les porte en sécurité dans ses bras, à jamais. Plus proches de nous sont les mondes d'une parfaite création supramentale dans lesquels la Mère est la Mahâshakti supramentale, un Pouvoir d'omnisciente Volonté et d'omnipotente Connaissance divines, toujours apparent dans ses œuvres infaillibles et spontanément parfaites dans chaque opération. Là, tous les mouvements sont des pas de la Vérité, tous les êtres sont des âmes, des pouvoirs et des corps de la Lumière divine, toutes les expériences, des mers, des flots et des vagues d'un Ananda absolu et intense. Mais les mondes où nous demeurons sont ceux de l'Ignorance, les mondes du mental, de la vie et du corps, séparés de leur source dans leur conscience, et dont la terre est un centre significatif et son évolution un mouvement décisif. Tout ceci aussi, avec son obscurité, ses luttes et ses imperfections, est supporté par la Mère universelle; ceci aussi est mû et conduit vers son but caché par la Mahâshakti.
La Mère, en tant que Mahâshakti de ce triple monde de l'Ignorance, se tient dans un plan intermédiaire entre la Lumière supramentale, la vie de Vérité, la création de Vérité, qui doit être amenée ici-bas et cette hiérarchie montante et descendante des plans de conscience qui, comme une échelle double, s'enfonce dans l'ignorance de la Matière et escalade à nouveau l'infinité de l'Esprit à travers l'épanouissement de la vie, de l'âme et de l'intellect. Déterminant tout ce qui sera en cet univers et dans l'évolution terrestre par ce qu'elle voit et sent et déverse d'elle-même, elle se tient là, au-dessus des dieux, et toutes ses Personnalités et tous ses Pouvoirs sont émis et placés devant elle pour l'action; elle projette leurs émanations dans ces mondes inférieurs pour intervenir, gouverner, combattre et conquérir, pour guider et accomplir leurs cycles, pour diriger les lignes d'action totales et individuelles de leurs forces. Ces émanations sont les nombreuses formes et personnalités divines dans lesquelles les hommes l'ont adorée sous des noms différents à travers les âges. Mais elle prépare aussi et forme par l'intermédiaire de ces Pouvoirs et de leurs émanations, l'esprit et le corps de ses vibhoûtis, de même qu'elle prépare et forme des esprits et des corps pour lesvibhoûtis de l’Ishwara, afin qu'elle puisse manifester, dans le monde physique et sous le masque de la conscience humaine, quelque rayon de son pouvoir, de sa qualité et de sa présence. Toutes les scènes du jeu terrestre ont été, comme dans un drame, organisées, conçues et jouées par elle avec les dieux cosmiques comme auxiliaires et elle-même comme un acteur voilé.
Non seulement la Mère gouverne tout d'en haut, mais elle descend dans ce triple univers inférieur. D'une manière impersonnelle toutes choses ici-bas, même les mouvements de l'Ignorance, sont elle-même en un pouvoir voilé, sont ses créations dans une substance amoindrie, sont le corps et la force de sa Nature; et elles existent parce que, mue par le fiat mystérieux du Suprême afin d'exécuter quelque chose qui était là-haut parmi les possibilités de l'Infini, elle a consenti au grand sacrifice et a revêtu, comme un masque, l'âme et les formes de l'Ignorance. Mais d'une manière personnelle aussi, elle a daigné descendre ici-bas dans l'Obscurité afin de pouvoir la conduire à la Lumière, dans le Mensonge et l'Erreur afin de les convertir à la Vérité, dans cette Mort afin de la changer en une Vie divinisée, dans la douleur du monde, sa souffrance et son chagrin obstinés pour y mettre fin par l'extase transformante de son sublime Ananda. Dans son profond et grand amour pour ses enfants, elle a consenti à revêtir le manteau de cette obscurité, condescendu à subir les attaques et les influences torturantes des pouvoirs de Ténèbres et de Mensonge, supporté de traverser le portail de cette naissance qui est une mort, pris sur elle les angoisses, les chagrins et les souffrances de la créature, car il semblait qu'ainsi seulement la création pouvait être élevée jusqu'à la Lumière, la joie et la Vérité, jusqu'à la Vie éternelle. C'est le grand sacrifice du Pourousha, mais bien plus profondément l'holocauste de Prakriti, le sacrifice de la Mère divine.

 Sri Aurobindo, La Mère 

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