Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo SRI AUROBINDO - YOGA INTEGRAL: avril 2014

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

APHORISMES: BHAKTI (408-450)


Sri Aurobindo
PENSÉES ET APHORISMES
BHAKTI (408-450)

*
BHAKTI
(L’Amour et la Dévotion)

408 — Je ne suis pas un bhakta , car je n’ai pas renoncé
au monde pour Dieu. Comment puis-je
renoncer à ce qu’Il m’a pris de force et qu’Il m’a redonné
contre ma volonté ? Ces choses sont trop
difficiles pour moi.

409 — Je ne suis pas un bhakta¹, je ne suis pas un
jnânî² , je ne suis pas un travailleur du Seigneur.
Que suis-je donc ? Un outil dans les mains de mon
Maître, une flûte où souffle le divin Berger, une feuille
poussée par le souffle du Seigneur.
¹Celui qui suit la voie de la Dévotion ou de l’Amour.
²Celui qui suit la voie de la Connaissance.

410 — La dévotion n’est pas absolument complète
tant qu’elle ne devient pas action et connaissance.
Si tu es à la poursuite de Dieu et que tu ne
puisses pas Le rattraper, ne Le lâche pas tant que tu
n’as pas Sa réalité. Si tu as saisi Sa réalité, insiste pour
avoir aussi Sa totalité. L’une te donnera la connaissance
divine, l’autre te donnera les œuvres divines et
une joie libre et parfaite dans l’univers.

411* — Les autres se vantent de leur amour pour Dieu.
Moi, je me vante que je n’aimais pas Dieu : c’est Lui qui
m’a aimé et m’a cherché et m’a forcé à Lui appartenir.

412* — Une fois que j’ai su que Dieu était une femme,
j’ai appris quelque chose de très approximatif
au sujet de l’amour ; mais c’est seulement quand je
suis devenu une femme et que j’ai servi mon Maître et
Amant que j’ai connu l’amour absolument.

413* — Commettre un adultère avec Dieu est l’expérience
parfaite pour laquelle ce monde fut créé.
* D’après les renseignements fournis à Mère, ces aphorismes ont été
écrits peu après l’arrivée de Sri Aurobindo à Pondichéry. À cette époque, Sri
Aurobindo signait certaines de ses lettres du nom de Kâlî. Il considérait que
Krishna et Kâlî étaient identiques (comme le faisait Shrî Râmakrishna qui, à une époque, a vécu une vie de femme pour adorer Krishna). C’est cette expérience que Sri Aurobindo décrit peut-être ici à sa façon humoristique.la moralité humaine. À elle seule cette phrase est toute une satire.

414 — Craindre Dieu, c’est vraiment s’éloigner de Lui
à une grande distance ; mais jouer à avoir peur
de Lui, c’est aiguiser des délices absolus.

415 — Les Juifs ont inventé l’homme qui craint Dieu ;
l’Inde a inventé le connaisseur de Dieu et
l’amant de Dieu.

416 — Le serviteur de Dieu est né en Judée, mais il est
parvenu à maturité parmi les Arabes. La joie de
l’Inde est dans le serviteur-amant.

417 — L’amour, quand il est parfait, rejette la peur ;
mais toi, garde cependant une ombre et un
souvenir tendres de l’exil, cela rendra la perfection
plus parfaite.

418 — Ton âme n’a pas goûté à l’entier délice de Dieu
si elle n’a jamais eu la joie d’être Son ennemie,
de lutter contre Ses desseins et d’être engagée dans un
mortel combat contre Lui.

419 — Si tu ne peux pas faire que Dieu t’aime, fais
qu’Il lutte contre toi. S’Il ne veut pas te donner
l’étreinte de l’amant, oblige-Le à te donner l’étreinte
du lutteur.

420 — Mon âme est la captive de Dieu et prise par Lui
dans la bataille ; elle se souvient encore de la
guerre, pourtant si loin d’elle, avec délice, alarme et
émerveillement.

421 — Plus que toute chose sur la terre, je haïssais la
douleur, jusqu’à ce que Dieu me fît mal et me
torturât ; alors il me fut révélé que la douleur était
seulement une forme pervertie et récalcitrante de
délice excessif.

422 — Il y a quatre étapes dans la douleur que Dieu
nous inflige : quand c’est seulement de la
douleur ; quand c’est de la douleur qui donne du
plaisir ; quand c’est de la douleur qui est plaisir ; et
quand c’est purement une forme violente de délice.

423 — Même lorsqu’on a escaladé les régions de
béatitude où la douleur disparaît, elle survit
encore, déguisée en extase intolérable.

424 — Comme je gravissais les cimes toujours plus
hautes de Sa joie, je me suis demandé s’il n’y avait pas
de limite à l’accroissement de la béatitude et j’ai pris
presque peur des embrassements de Dieu.

425 — Après l’amour de Dieu, le plus grand ravissement
est l’amour de Dieu dans les hommes ; là, on a
aussi la joie de la multiplicité.

426 — La monogamie est peut-être ce qu’il y a de
mieux pour le corps, mais l’âme qui aime Dieu dans
les hommes demeure toujours une polygame extatique
et sans limite ; et pourtant, tout le temps (c’est le secret),
elle est amoureuse seulement d’un être.

427 — Le monde entier est mon sérail et chaque être
vivant en lui, chaque existence inanimée, est l’objet de
mon ravissement.

428 — Pendant un certain temps, je ne savais pas qui
j’aimais le plus, de Krishna ou de Kâlî ; quand
j’aimais Kâlî, c’était m’aimer moi-même, mais quand
j’aimais Krishna, j’aimais un autre et en même temps
c’était moi-même que j’aimais. Ainsi, j’en vins à aimer
Krishna encore plus que Kâlî.

429 — Que sert d’admirer la Nature ou de l’adorer
comme un Pouvoir ou une Présence ou une
déesse ? Que sert aussi de l’apprécier esthétiquement
ou artistiquement ? Le secret est de jouir d’elle avec
l’âme comme on jouit d’une femme avec le corps.

430 — Quand on a la vision dans le cœur, toutes
choses — la Nature, la Pensée et l’Action, les
idées, les occupations, les goûts et les objets —
deviennent le Bien-Aimé et sont une source d’extase.

431 — Les philosophes qui rejettent le monde comme
une mâyâ sont très sages et très austères et très
saints, mais, parfois, je ne puis m’empêcher de penser
qu’ils sont aussi un peu stupides et qu’ils laissent Dieu
les duper trop facilement.

432 — Quant à moi, je pense que j’ai le droit de
soutenir que Dieu se donne dans le monde
autant qu’en dehors du monde. Pourquoi l’a-t-Il fait,
vraiment, s’Il voulait échapper à cette obligation ?

433 — Le mâyâvâdin parle de mon Dieu Personnel
comme d’un rêve et préfère rêver de l’Être
Impersonnel ; le bouddhiste écarte cela aussi comme
une fiction et préfère rêver du Nirvâna et de la
béatitude du néant. Ainsi, tous les rêveurs sont occupés
à insulter la vision des autres et à afficher la leur
comme la seule panacée. Cela qui réjouit l’âme
totalement est pour la pensée l’ultime réalité.

434 — Par-delà la Personnalité, le mâyâvâdin voit
l’Existence indéfinissable ; je l’ai suivi jusque-là
et j’ai trouvé mon Krishna par-delà, dans la
Personnalité indéfinissable.

435 — Quand j’ai rencontré Krishna pour la première
fois, je L’ai aimé comme un ami et un
compagnon de jeu, jusqu’à ce qu’Il me trompe ; alors
je m’indignai et je ne pus Lui pardonner. Puis je L’ai
aimé comme un amant, et Il m’a encore trompé ; je fus
encore bien plus indigné ; mais cette fois j’ai dû
pardonner.

436 — Après avoir offensé, Il m’a obligé à Lui pardonner,
non pas en réparant mais en commettant
de nouvelles offenses.

437 — Tant que Dieu a essayé de réparer Ses offenses
envers moi, nous continuions de nous quereller
périodiquement ; mais quand Il a découvert Son
erreur, les querelles se sont arrêtées, car j’ai dû me
soumettre à Lui complètement.

438 — Quand je voyais dans le monde d’autres
personnes que Krishna et moi-même, je gardais
secrets les agissements de Dieu à mon égard ; mais
depuis que j’ai commencé à ne voir que Lui et moi
partout, je suis devenu éhonté et loquace.

439 — Tout ce que mon Amant possède m’appartient.
Pourquoi m’injuriez-vous parce que je me pare
des ornements qu’Il m’a donnés ?

440 — Mon Amant a enlevé Sa couronne de Sa tête et
Son collier royal de Son cou et Il m’en a revêtu ;
mais les disciples des saints et des prophètes m’ont
injurié, ils ont dit : « Il court après les siddhis* . »
*Pouvoirs occultes ou spirituels.

441 — J’ai obéi à l’ordre de mon Amant dans le monde
et à la volonté de mon Ravisseur ; mais ils se
sont récriés : « Qui est ce corrupteur de la jeunesse et
ce destructeur de la morale ? »

442 — Si, même, je me souciais de vos louanges,
ô vous, les saints, si je chérissais ma réputation,
ô vous, les prophètes, mon Amant ne m’aurait jamais
pris en Son cœur ni donné la liberté de Ses chambres
secrètes.

443 — J’étais enivré du ravissement de mon Amant et
j’ai jeté la robe du monde au milieu même des
grands-routes du monde. Pourquoi me soucierais-je
que les mondains se moquent et que les pharisiens
détournent leur visage ?

444 — Pour ton amant, ô Seigneur, les invectives du
monde sont du miel sauvage, et la grêle de
pierres jetées par la foule est une pluie d’été sur le
corps. Car n’estce point Toi qui invectives et qui
lapides, et n’estce point Toi dans les pierres, qui
frappes et qui me blesses ?

445 — Il y a deux choses en Dieu que les hommes
appellent mal : ce qu’ils ne peuvent pas du tout
comprendre, et ce qu’ils comprennent mal et dont ils
font mauvais usage quand ils en ont la possession ;
c’est seulement ce qu’ils recherchent à tâtons, à moitié
en vain et qu’ils comprennent vaguement, qu’ils
appellent bon et saint. Mais, pour moi, toutes choses
sont aimables en Lui.

446 — Ils disent, ô mon Dieu, que je suis fou parce
que je ne vois aucune faute en Toi ; mais si,
vraiment, je suis fou de Ton amour, je ne tiens pas à
recouvrer mon bon sens.

447 — « Erreurs, mensonges, faux pas ! » s’écrient-ils.
Que Tes erreurs sont brillantes et belles, ô
Seigneur ! Tes mensonges sauvent la vie à la Vérité ;
par Tes faux pas le monde se perfectionne.

448 — « Vie, Vie, Vie ! » entendais-je les passions crier ;
« Dieu, Dieu, Dieu ! », telle est la réponse de
l’âme. À moins que tu ne voies et n’aimes la Vie comme
Dieu seulement, la Vie elle-même sera une joie scellée
pour toi.

449 — « Il l’aime » disent les sens ; mais l’âme dit :
« Dieu, Dieu, Dieu. » Telle est la formule qui
embrasse toute l’existence.

450 — Si tu ne peux pas aimer le ver le plus vil et le
plus immonde des criminels, comment peux-tu
croire que tu as accepté Dieu en ton esprit ?

LE CORPS DIVIN



SHRI AUROBINDO
LA MANIFESTATION SUPRAMENTALE SUR LA TERRE



CHAPITRE II :
LE CORPS DIVIN


Une vie divine dans un corps divin, telle est la formule idéale que nous envisageons. Mais que sera ce
corps divin? Quelle sera la nature de ce corps, sa structure, le principe de son activité, la perfection
qui le distinguera du physique limité et imparfait où nous sommes maintenant enfermés? Quelles
seront les conditions et le fonctionnement de sa vie - qui reste encore physique de par sa base sur la
terre - permettant de reconnaître qu'il est divin?
Si ce corps divin doit être le fruit d'une évolution - et c'est ainsi que nous devons l'entendre - , une
évolution qui est partie de notre imperfection et de notre ignorance humaines pour s'élever à la
vérité supérieure de l'esprit et de la nature, par quel processus ou quelles étapes ce corps peut-il se
former et apparaître, ou rapidement surgir? Le processus de l'évolution terrestre a toujours été
lent, tardif - quel principe doit donc intervenir pour qu'une transformation, un changement
progressif ou soudain puisse se produire?
En fait, c'est par l'effet de notre évolution que nous sommes parvenus à la possibilité de cette
transformation. De même que la Nature évolutive a dépassé la Matière et manifesté la Vie, dépassé
la Vie et manifesté le Mental, de même elle doit dépasser le Mental et manifester une conscience et
un pouvoir d'existence délivrés de l'imperfection et des limitations de notre existence mentale : une
conscience supramentale, une conscience-de-vérité capable d'exprimer le pouvoir et la perfection de
l'esprit. Dès lors, la loi ou la méthode de notre évolution ne sera plus nécessairement un lent
changement tardif, sauf dans la mesure où l'ignorance mentale s'accroche encore plus ou moins
longtemps et entrave notre ascension, car, dès que nous aurons assez grandi pour entrer en la
conscience-de-vérité, c'est son pouvoir de vérité essentielle, spirituelle, qui déterminera tout. En
cette vérité, nous serons libérés : c'est elle qui transformera le mental, la vie, le corps. La lumière, la
béatitude, la beauté et la perfection du fonctionnement juste et spontané de tout l'être, tels sont les
pouvoirs naturels de la conscience-de-vérité supramentale; ils transformeront donc tout
naturellement le mental, la vie et le corps ici même, sur cette terre, et en feront une manifestation de  l'esprit conscient de la vérité. Les obscurcissements de la terre ne prévaudront pas contre la
conscience-de-vérité supramentale, car, ici même, sur la terre, elle peut apporter assez de lumière
omnisciente et de force toute-puissante de l'esprit pour conquérir. Il se peut que tout le monde ne
s'ouvre pas à la totalité de sa lumière et de son pouvoir, mais tous ceux qui s'ouvriront, et dans cette
mesure, devront subir le changement. Tel sera le principe de la transformation.
Il se pourrait qu'un changement psychologique, une maîtrise de l'âme sur la nature, une
transformation du mental en un principe de lumière, une transformation de la force de vie en un
pur pouvoir, fussent la première étape, un premier essai de solution du problème afin d'échapper à
la formule purement humaine et d'établir quelque chose que l'on puisse appeler une vie divine sur
la terre : une première ébauche de surhumanité ou de vie supramentale dans les conditions de la
Nature terrestre. Mais tout cela n'est pas le changement complet, radical, dont nous avons besoin; ce  ne serait pas la transformation totale, pas la plénitude d'une vie divine dans un corps divin. Le
corps serait encore humain et, en fait, animal de par son origine et ses caractéristiques
fondamentales; il imposerait encore aux parties supérieures de l'être incarné ses limitations
inévitables. De même que les limitations de l'ignorance et de l'erreur sont le défaut fondamental
d'un mental non transformé, que les limitations des impulsions imparfaites du désir, de ses efforts,
ses tensions, ses besoins, sont le défaut d'une force de vie non transformée, de même l'imperfection
du pouvoir d'action physique, les déficiences et les limitations des réponses semi-conscientes du
corps à ce que l'on exige de lui, la grossièreté et les souillures de son animalité originelle, sont les
défauts d'un corps non transformé ou imparfaitement transformé. Ces défauts doivent
nécessairement entraver et même dégrader l'action des parties supérieures de notre nature. La
transformation du corps est la condition indispensable d'une transformation totale de la nature.
Il se pourrait aussi que la transformation se produise par étapes. Certains pouvoirs de notre nature
- qui pourtant relèvent encore de la région mentale - sont des potentialités d'une gnose en voie de
développement : ils s'élèvent au-delà de notre mentalité humaine, ils participent déjà de la lumière
et du pouvoir du Divin, et il semblerait qu'une ascension par ces plans, leur descente dans l'être
mental, dussent être la courbe évolutive naturelle. Mais pratiquement, il pourrait se révéler que ces
niveaux intermédiaires sont insuffisants pour effectuer la transformation totale, car, étant
eux-mêmes des potentialités illuminées de l'être mental, n'étant pas encore supramentaux au sens
complet du terme, ils pourraient simplement faire descendre dans le mental une divinité partielle,
ou seulement soulever le mental vers ces niveaux, mais non effectuer son élévation à la complète
supramentalité de la conscience-de-vérité. Néanmoins, ces niveaux pourraient jalonner les étapes de
l'ascension et certains êtres pourraient s'élever jusque-là, s'arrêter là, tandis que d'autres
grimperaient plus haut et pourraient parvenir aux strates supérieures d'une existence semi-divine et
y vivre. II ne faut pas s'attendre à ce que l'humanité tout entière s'élève en bloc jusqu'au
supramental; au début, seuls pourraient atteindre aux cimes suprêmes ou à quelque sommet
intermédiaire de l'ascension ceux qui ont été préparés à ce si vaste changement par leur évolution
intérieure ou soulevés par le contact direct du Divin et transportés en sa lumière, sa béatitude et son
pouvoir parfaits. Il se pourrait que la grande masse des êtres humains reste encore longtemps
satisfaite d'une nature humaine normale ou simplement partiellement illuminée et inspirée. Mais ce
serait déjà là un changement suffisamment radical, un commencement de transformation de la vie
terrestre : le chemin serait ouvert pour tous ceux qui auraient la volonté de s'élever; l'influence
supramentale de la conscience-de-vérité toucherait la vie terrestre et influencerait même sa masse
non transformée - un espoir naîtrait, et aussi une promesse que tous finalement pourront participer
à ce que seul le petit nombre peut maintenant partager ou réaliser.
En tout cas, ce ne serait qu'un début et cela ne saurait constituer l'intégralité de la vie divine sur la
terre; ce serait un tournant nouveau de la vie terrestre mais non son changement parfait. Pour cela,
le règne souverain de la conscience-de-vérité supramentale doit s'instaurer et toutes les autres
formes de vie doivent se subordonner à elle, se référer à cette conscience comme au principe
directeur et au pouvoir suprême, la considérer comme le but, mettre à profit son influence, être
mues et soulevées par son illumination et par sa force clairvoyante. Notamment, de même que le
corps humain a dû naître par une modification de la forme animale précédente et que la position
verticale de son corps symbolisait un pouvoir de vie nouveau, que ses mouvements et ses activités
étaient faits pour exprimer la vie d'un être mental et servir le principe mental, de même un corps
nouveau doit se former avec de nouveaux pouvoirs, des activités ou des degrés d'action divine
nouveaux qui seront faits pour exprimer un être conscient de la vérité, servir une conscience
supramentale et manifester un esprit conscient. Certes, nous devons être capables d'embrasser et de
sublimer toutes les activités de la vie terrestre qui sont susceptibles d'être spiritualisées, mais en
même temps, nous devons transcender l'animalité originelle et les activités incurablement
corrompues par elle, ou du moins leur faire subir une certaine transformation régénératrice,
spiritualiser ou "psychiser" la conscience et les mobiles qui les animent et nous dépouiller de tout ce
qui n'accepte pas d'être ainsi transformé; même un changement de ce que l'on pourrait appeler la
structure instrumentale du corps, de son fonctionnement, son organisation, une maîtrise complète
de l'organisme telle qu'on n'en a encore jamais vue, doivent accompagner ce changement total ou en
découler. Dans une certaine mesure, ce genre de maîtrise existe déjà dans la vie de bien des humains
qui ont acquis des pouvoirs spirituels, mais c'est là quelque chose d'exceptionnel, des cas isolés, la
manifestation fortuite ou partielle d'une capacité acquise plutôt que l'organisation d'une conscience
nouvelle, d'une vie nouvelle, d'une nature nouvelle. Jusqu'où cette transformation physique
peut-elle être poussée? Quelles sont les limites où elle doit demeurer pour être compatible avec la
vie sur la terre sans la faire basculer en dehors de la sphère terrestre ou la pousser à une existence
supraterrestre? - La conscience supramentale n'est pas une quantité fixe; c'est un pouvoir qui passe
par des niveaux de possibilités de plus en plus hauts, jusqu'à ce qu'il parvienne aux sommets
suprêmes de l'existence spirituelle qui complètent le supramental en même temps que le
supramental complète les étendues de la conscience spirituelle qui grimpent jusqu'à lui depuis le
niveau humain ou mental. Dans cette progression, le corps peut, lui aussi, parvenir à une forme plus
parfaite, découvrir une gamme de pouvoirs d'expression supérieure, devenir un réceptacle de plus
en plus parfait de la divinité.
 ***

Dans le passé, pareille destinée du corps fut rarement envisagée, du moins pour un corps ici-bas, sur
la terre; on imaginerait plutôt ou verrait des formes de ce genre comme le privilège d'êtres célestes,
mais elles sembleraient impossibles comme une demeure physique pour une âme encore liée à la
nature terrestre. Les vaïshnava (1) ont parlé d'un corps spiritualisé conscient, chinmaya déha (2); on trouve aussi la, conception d'un corps radieux ou lumineux qui serait peut-être le jyôtirmaya
déha védique. Certains ont vu une lumière irradier le corps de personnes hautement développées
spirituellement, ceci pouvant aller jusqu'à l'émanation d'une aura enveloppante; on relate un début
de phénomène de ce genre dans la vie d'une personnalité spirituelle aussi grande que celle de
Râmakrishna. Mais ces phénomènes sont rares, fortuits, ou bien ils n'ont existé qu'en concept, et la
plupart du temps on ne considérait pas que le corps eût des possibilités spirituelles ni fût capable de
transformation. Il a bien été dit que le corps était le moyen de réaliser le dharma (3) - et le dharma inclut tous les desseins élevés, les accomplissements ou idéaux de la vie, sans en exclure le
changement spirituel -, mais c'était un instrument que l'on devait laisser tomber une fois le travail
terminé; certes, il peut et il doit y avoir une réalisation spirituelle pendant que nous sommes encore
dans un corps, mais elle ne peut parvenir à sa pleine fructification qu'après l'abandon de cette
forme physique. D'une façon générale, la tradition spirituelle considérait le corps comme un
obstacle, comme une substance incapable de spiritualisation ou de transmutation, un poids lourd qui
attachait l'âme à la nature terrestre et empêchait, soit son ascension vers l'accomplissement
spirituel en le Suprême, soit la dissolution de son être individuel en le Suprême. Mais si cette
conception du rôle du corps dans notre destinée convient assez bien à une sâdhanâ (4) qui considère
la terre simplement comme un lieu d'ignorance et la vie sur terre comme une préparation à une
sortie salvatrice hors de la vie - qui serait la condition indispensable de la libération spirituelle -,
elle est insuffisante pour une sâdhanâ qui conçoit une vie divine sur la terre et qui estime que la
libération même de la nature terrestre fait partie du dessein total de l'incarnation de l'esprit ici-bas.
Si une transformation totale de l'être est notre but, la transformation du corps doit
indispensablement en faire partie. Sans elle, aucune vie divine intégrale n'est possible sur la terre.
L'évolution passée du corps, et surtout sa nature animale, son histoire animale, semblent être
l'obstacle à cet accomplissement. Le corps, nous l'avons vu, est le fruit ou la création de
l'Inconscient, lui-même inconscient ou seulement semi-conscient; il a débuté comme une forme de la
matière inconsciente, a donné naissance à la vie et, d'objet matériel, est devenu une poussée vivante,
a façonné le mental et, de la subconscience de la plante et de la première mentalité rudimentaire ou
de l'intelligence incomplète de l'animal, a façonné la mentalité intellectuelle et l'intelligence plus
complète de l'homme; et maintenant il sert de base physique, de logement et d'instrument à toute
notre entreprise spirituelle. Son caractère animal et ses limitations grossières sont certainement un
obstacle à notre perfection spirituelle, mais le fait qu'il ait façonné une âme et qu'il soit capable de
lui servir d'instrument peut indiquer aussi qu'il est capable d'un développement ultérieur et qu'il
peut devenir un sanctuaire, une expression de l'esprit, révéler la spiritualité secrète de la matière,
devenir conscient entièrement au lieu de l'être à moitié et parvenir à une certaine unité avec
l'esprit. Ce progrès-là, au moins, il doit le faire; jusqu'à ce point, au moins, il doit transcender sa
nature terrestre originelle, s'il veut devenir l'instrument complet de la vie divine au lieu d'être un
obstacle.
 ***

Néanmoins, les inconvénients du corps animal, de sa nature animale, de ses impulsions animales, et
les limitations du corps humain, même le meilleur, sont présentes au début et persistent aussi
longtemps que n'intervient pas la libération complète et fondamentale; or, son inconscience ou sa
semi-conscience, son empire sur l'âme, sur le mental et sur la force de vie qu'il enchaîne à la
matière, enchaîne aux matérialités de toutes sortes et aux appels de la nature terrestre non
régénérée s'opposent constamment à l'appel de l'Esprit et circonscrivent l'ascension aux degrés plus
hauts. Il apporte à l'être physique l'esclavage des instruments matériels - du cerveau, du coeur, des
sens - et leur obscur mariage à la matière et à toutes sortes de matérialismes, l'esclavage du
mécanisme corporel et de ses besoins obligatoires, l'esclavage de la nécessité impérieuse de la
nourriture et la préoccupation d'avoir les moyens de se la procurer et de l'amasser - l'un des soucis
obsédants de la vie -, l'esclavage de la fatigue, du sommeil, de la satisfaction des désirs corporels. De
même, la force de vie dans l'homme est enchaînée à ces petitesses; elle est contrainte de restreindre
le champ de ses ambitions et de ses ardeurs plus larges, de refréner l'élan qui la pousse à dépasser
l'attraction de la terre et à suivre les intuitions plus célestes de ses facultés psychiques, l'idéal de son
coeur et les aspirations de son âme. Au mental, le corps impose les frontières de l'être physique, de
la vie physique, et le sentiment que seules les choses physiques ont une réalité complète tandis que le  reste est simplement une sorte de feu d'artifice brillant de l'imagination, un jeu de lumières et de
gloires qui ne peuvent avoir d'existence complète que dans les cieux de l'au-delà et sur des plans
d'existence supérieurs, mais certes pas ici-bas; il jette sur les idées et les aspirations le poids du
doute, sur le témoignage des sens subtils et de l'intuition, l'incertitude, sur l'immense étendue de la
conscience et de l'expérience supra-physiques, l'accusation d'irréalité, et il accroche à ses racines
terrestres la poussée de l'esprit qui voudrait sortir des limites de son humanité originelle pour
entrer en la vérité supramentale, en la nature divine. Ces obstacles peuvent être surmontés; les
démentis et les résistances du corps peuvent être vaincus, sa transformation est possible. Même la
partie animale et inconsciente en nous peut être illuminée et devenir capable de manifester la
nature des dieux, tout autant que notre humanité mentale peut devenir capable de manifester la
surhumanité de la conscience-de-vérité supramentale et la divinité de ce qui, maintenant, pour nous,
est supraconscient - la transformation totale peut devenir une réalité ici-bas. Mais, pour cela, les
obligations et les contraintes de son animalité doivent cesser d'être obligatoires; une purification de
sa matérialité doit s'effectuer afin que cette matérialité même puisse se muer en la solidité
matérielle de la manifestation de la nature divine. Car rien d'essentiel ne doit être exclu de la
totalité du changement terrestre; la matière même peut devenir un instrument de révélation de la
réalité spirituelle, du Divin.
La difficulté est double : psychologique et corporelle. La première tient à l'animalité non régénérée
et à l'influence animale sur la vie, surtout par l'insistance des instincts, des impulsions et désirs
grossiers du corps; la deuxième est l'effet de notre structure corporelle et de nos instruments
organiques qui imposent leurs restrictions au dynamisme de la nature divine supérieure. La
difficulté psychologique est plus facile à traiter et à vaincre, car, ici, la volonté peut intervenir et
imposer, au corps le pouvoir de la nature supérieure. Certains instincts et impulsions du corps se
révèlent particulièrement nocifs pour l'aspirant spirituel et viennent peser considérablement en
faveur d'un rejet ascétique du corps. Le sexe et l'impulsion sexuelle, et tout ce qui relève du sexe ou
témoigne de son existence, devaient être bannis et rejetés de la vie spirituelle - ce n'est pas du tout
impossible, bien que ce soit difficile, et l'on peut en faire une condition essentielle pour le chercheur
spirituel. Cette condition est naturelle et inévitable pour toute pratique ascétique, et, bien qu'au
début il ne soit pas facile d'y satisfaire, elle se révèle tout à fait praticable au bout d'un certain
temps. La conquête de l'instinct et du désir sexuels est certainement impérative pour tous ceux qui
veulent arriver à la maîtrise de soi et mener une vie spirituelle. Il est essentiel pour tout chercheur
spirituel de les maîtriser totalement et, pour les ascètes complets, de les extirper. Ce principe doit
être admis et l'on ne saurait minimiser son importance obligatoire.
Mais, mis à part l'assouvissement physique grossier de l'impulsion sexuelle, nous ne saurions
exclure ni refuser complètement de reconnaître le principe sexuel dans une vie divine sur la terre; il
est là, dans la vie, il joue un rôle considérable et doit être pris en considération; on ne peut pas
simplement faire semblant de ne pas le voir, le supprimer tout bonnement ni l'étouffer, le chasser de nos yeux. Et tout d'abord, sous certains de ses aspects, c'est un principe cosmique et même divin :
sous sa forme spirituelle, c'est l'Îshwara et la Shakti sans lesquels il ne peut pas y avoir de création
cosmique ou de manifestation du principe cosmique de Pourousha et de Prakriti (5), tous deux nécessaires à la création, - nécessaires aussi, par leur association et leurs rapports, au jeu du
fonctionnement psychologique de l'univers, et, par leur manifestation en tant qu'Âme et Nature,
essentiels au déroulement total de la lîlâ (6). Dans la vie divine elle-même, une incarnation de ces deux pouvoirs, ou du moins leur présence sous une forme ou une autre, ou leur influence
inspiratrice à travers leurs incarnations ou leurs représentants, serait indispensable pour rendre
possible la création nouvelle. Dans son jeu humain, au niveau mental et vital, le sexe n'est pas un
principe foncièrement non divin; il a ses aspects nobles et son idéalisme; reste à voir de quelle
manière et dans quelle mesure ces éléments peuvent être admis dans la vie nouvelle plus large. Tout
assouvissement animal grossier de l'impulsion et du désir sexuels devra être éliminé; cela ne peut
continuer que chez ceux qui ne sont pas prêts à la vie supérieure ou pas encore prêts à une existence
spirituelle complète. Chez tous ceux qui aspirent à la vie supérieure, sans toutefois être encore
capables de l'adopter totalement, le sexe devra être raffiné, se soumettre à l'influence psychique ou
spirituelle, à la direction du mental et du vital supérieurs, se dépouiller de toutes ses formes légères,
frivoles ou dégradées et sentir l'appel de la pureté de l'idéal. L'amour demeurera, de même que
toutes les formes de la pure vérité de l'amour à des degrés de plus en plus hauts, jusqu'à ce qu'il
touche à sa nature suprême, s'élargisse en un amour universel et fusionne en l'amour du Divin.
L'amour de l'homme et de la femme devra subir aussi cette sublimation, parvenir à ce sommet, car
tout ce qui est capable de sentir l'appel de l'idéal et de l'esprit doit pouvoir suivre le chemin de
l'ascension, jusqu'à ce que soit atteinte la divine Réalité. Le corps et ses activités doivent être
acceptés et faire partie de la vie divine, passer sous la loi, mais, comme il en fut des autres
transitions évolutives, ce qui ne peut pas accepter la loi de la vie divine ne doit pas être accepté et
devra quitter notre nature en ascension.
Une autre difficulté à laquelle doit faire face la transformation du corps est qu'il dépend de la
nourriture pour son existence même; ici aussi, nous sommes en présence des instincts, impulsions et
désirs physiques grossiers qui accompagnent ce facteur difficile : les goûts irrésistibles du palais,
l'avidité pour la nourriture et la gloutonnerie animale du ventre, l'alourdissement du mental quand
il se vautre dans la boue des sens et obéit à la servitude des parties purement animales pour
embrasser l'esclavage de la matière. L'homme supérieur en nous cherche refuge dans la modération
et la tempérance, dans la frugalité, l'abstinence, à moins qu'il ne dédaigne le corps et ses besoins, et
s'absorbe dans les poursuites supérieures. Souvent, à l'instar des ascètes jaïn, les chercheurs
spirituels se réfugient en des jeûnes prolongés et fréquents qui les tirent des griffes du corps et de ses  exigences, du moins temporairement, et les aident à sentir en eux-mêmes la pure vacuité des grands  espaces de l'esprit. Mais tout cela n'est pas la libération - et l'on peut se demander si, non seulement  à ses débuts mais toujours, la vie divine aussi ne devra pas être soumise à ces nécessités. Pourtant,  elle pourrait s'en délivrer complètement si elle découvrait le moyen de puiser à l'énergie universelle afin de soutenir non seulement les parties vitales de notre organisme mais aussi la matière qui le  constitue, sans avoir besoin de recourir à une substance extérieure, matérielle, pour se nourrir.
Certes, il est possible, tout en jeûnant pendant de très longues périodes, de garder toutes les
énergies et de continuer les activités de l'âme, du mental, de la vie, et même du corps; de rester
éveillé et concentré tout le temps dans le yoga, ou de réfléchir profondément et d'écrire jour et nuit;
de se passer de sommeil, de marcher huit heures par jour, et de poursuivre toutes ces activités en
même temps ou séparément sans éprouver la moindre perte de force, fatigue, défaillance ni
diminution. Il est même possible, à la fin du jeûne, de reprendre immédiatement la quantité normale
de nourriture, ou même davantage, sans aucune des transitions ou précautions prescrites par la
science médicale, comme si le jeûne complet ou le festin complet (alternant de l'un à l'autre par une
transition immédiate et facile) étaient les conditions naturelles d'un corps déjà entraîné à être
l'instrument des pouvoirs et des activités du yoga par une sorte de transformation préliminaire.
Mais il est une difficulté à laquelle nous n'échappons pas : c'est l'usure des tissus matériels du corps,
de sa chair, de sa substance. On peut concevoir, cependant, que si l'on pouvait trouver un moyen
pratique, ce dernier obstacle apparemment invincible pourrait, lui aussi, être surmonté et que le
corps pourrait se nourrir par un échange de forces avec les forces de la Nature matérielle, le corps
donnant à la Nature ce qu'elle réclame de l'individu et prenant d'elle directement les énergies
sustentatrices au sein de l'existence universelle. Il est concevable que l'on puisse redécouvrir et
rétablir au sommet de l'évolution de la vie le phénomène que l'on observe à sa base : le pouvoir de la
vie de puiser tout autour les moyens de se sustenter et de se renouveler. Ou bien, l'être évolué
pourrait acquérir un pouvoir plus grand encore et tirer ses forces d'en haut au lieu de les tirer d'en
bas ou de les puiser ça et là dans le milieu ambiant ou en dessous. Mais tant qu'un pouvoir de ce
genre ne sera pas acquis ou rendu possible, nous devrons revenir à la nourriture et aux forces
établies par la Nature matérielle.
En fait, bien qu'inconsciemment, nous puisons constamment à l'énergie universelle ou à la force de
la matière pour réapprovisionner notre existence matérielle et les énergies mentales, vitales ou
autres du corps : nous le faisons directement par d'invisibles processus d'échanges que la Nature
fait jouer constamment et par les moyens spéciaux qu'elle a inventés - la respiration est l'un deux, le
sommeil aussi et le repos. Mais le moyen de base choisi par la Nature pour entretenir le corps
physique grossier et renouveler son fonctionnement et ses forces internes est l'absorption de la
matière extérieure sous forme de nourriture, la digestion, l'assimilation de ce qui est assimilable et
l'élimination de ce qui ne peut pas ou ne doit pas être assimilé. Ceci en soi suffirait simplement à
subsister, mais pour assurer la santé et la vigueur du corps entretenu par ces moyens, elle y a ajouté
la tendance innée aux exercices physiques, aux jeux de toutes sortes - qui sont d'autres moyens de
dépenser et de renouveler les énergies - et le choix ou la nécessité d'agir et de travailler de diverses
manières. Dans la vie nouvelle, du moins à ses débuts, il ne serait pas nécessaire, ni recommandable,
de vouloir rejeter complètement et précipitamment le besoin de nourriture ou la méthode
naturellement établie pour la conservation d'un corps encore imparfaitement transformé. Si ces
moyens doivent être transcendés, ou quand ils devront l'être, il faudra que la décision vienne d'un
éveil de la volonté de l'esprit, et aussi d'une volonté dans la matière elle-même, d'une poussée
évolutive impérieuse, d'un acte issu des transmutations créatrices du temps ou d'une descente des
transcendances. En attendant, il se peut fort bien que le puisage à l'énergie universelle autour de
nous par un mouvement conscient des pouvoirs supérieurs de notre être, ou d'en haut par un appel
à ce qui, pour nous, est encore une conscience transcendante, ou par une invasion, une descente de
la Transcendance elle-même, devienne un phénomène occasionnel, fréquent, voire constant, et que
l'on puisse même réduire la nourriture et son besoin à un rôle secondaire qui ne préoccupe plus, à
une nécessité mineure et de moins en moins impérieuse. Pour le moment, nous pouvons accepter la
nourriture et les moyens habituels de la Nature, mais leur usage doit être libre d'attachement, de
désir, d'appétits grossiers et sans discernement, et de rapacité pour les plaisirs de la chair, car telle
est la manière de l'Ignorance; les moyens physiques doivent être subtilisés, et il faudra sans doute
éliminer les plus grossiers, découvrir des moyens nouveaux, ou qu'émergent de nouveaux
instruments. Tant que l'on admet la nourriture, y prendre un plaisir raffiné est permis, il se peut
même qu'un ânanda du goût sans désir remplace les saveurs physiques et nos prédilections
humaines guidées par le goût et le dégoût, car telle est la façon imparfaite dont nous répondons
actuellement aux invites de la Nature. Il faut se souvenir que si nous voulons une vie divine sur la
terre, la terre et la matière ne doivent pas et ne peuvent pas être rejetées; il faut seulement les
sublimer et qu'elles révèlent du fond d'elles-mêmes les possibilités de l'esprit, qu'elles servent aux
usages les plus hauts de l'esprit et se transforment en instruments d'une existence plus vaste.
Toujours, c'est l'élan vers la perfection qui doit animer la vie divine; or, la perfection de la joie de la
vie fait partie de la vie divine, même une partie essentielle, le bonheur du corps dans ce qu'il fait et
la joie de vivre du corps ne sont pas exclus de la vie divine; eux aussi doivent devenir parfaits. Une
large totalité, telle est la nature même de ce nouveau mode d'existence progressif : une plénitude des  possibilités du mental transmué en substance de lumière, une plénitude de la vie convertie en force  de joie et de pouvoir spirituels, une plénitude du corps transformé en instrument de l'action divine  et de la connaissance divine, de la béatitude divine. Tout ce qui est capable de se transformer peut  faire partie de la vie divine - tout ce qui peut être un instrument, un canal, un moyen d'expression  de la totalité de l'Esprit qui se manifeste.
 ***

La sexualité pose un certain problème pour tous ceux qui veulent rejeter in toto les obligations
qu'impose l'animalité du corps, et ce problème, l'animalité ne manque pas de le soulever obstinément chaque fois qu'elle veut barrer le chemin de l'aspirant à la vie supérieure : c'est la nécessité de la perpétuation de l'espèce, puisque l'activité sexuelle est le seul moyen que la Nature ait jusqu'à présent fourni aux êtres vivants et qu'il s'impose inéluctablement à l'espèce. En fait, pour celui qui cherche individuellement la vie divine, il n'est pas nécessaire de se préoccuper de ce
problème, ni même pour un groupe qui ne la recherche pas pour lui seul mais désire la faire
accepter par l'humanité dans son ensemble, du moins comme un idéal. Il y aura toujours la
multitude de ceux qui ne s'intéressent pas à la vie divine ou qui ne sont pas prêts à la mettre
intégralement en pratique; ceux-là peuvent prendre soin de la conservation de l'espèce. Le nombre
de ceux qui mènent la vie divine peut fort bien rester constant et même s'accroître par l'adhésion
volontaire de ceux qui sont touchés par l'aspiration à mesure que l'idéal se répand, et, pour cela, il
n'est pas nécessaire de recourir à des moyens physiques ni de s'écarter de la stricte règle
d'abstinence sexuelle. Cependant, il peut exister des circonstances où l'on trouverait peut-être
souhaitable, d'un autre point de vue, de créer volontairement des corps pour certaines âmes qui
cherchent à entrer dans la vie terrestre afin d'aider à la création et à l'expansion de la vie divine sur
la terre. Dans ce cas, la nécessité d'une procréation physique à cette fin ne pourrait être évitée que
si l'on découvrait et disposait de moyens nouveaux d'ordre supraphysique. Ce genre de phénomène
relève évidemment d'un domaine que l'on considère maintenant comme "occulte" et il implique
l'usage de pouvoirs d'action ou de création cachés qui ne sont ni connus ni à la disposition du mental
ordinaire de l'espèce. En fait, l'occultisme est un usage des pouvoirs supérieurs de notre nature, de
notre âme, de notre mental, de notre force de vie et des facultés de la conscience physique subtile
qui, par la pression de leur loi secrète et de leurs potentialités, peuvent produire certaines
manifestations ou résultats sur leur propre plan ou sur le plan matériel, dans le mental, dans la vie,
dans le corps humain ou terrestre, ou parmi les objets et les événements du monde de la matière.
Déjà, certains penseurs réputés considèrent que la découverte ou l'extension de ces pouvoirs peu
connus ou encore embryonnaires doit constituer la prochaine étape de l'humanité dans son
évolution immédiate; une procréation du genre dont nous parlons ne figure pas encore parmi leurs
prévisions, mais on pourrait fort bien l'envisager parmi les possibilités nouvelles. La science
physique elle-même s'efforce de trouver des moyens physiques pour se dispenser des méthodes et
des procédés ordinaires de la Nature aux fins de la reproduction ou du renouvellement de la force de
vie physique chez l'être humain ou chez les animaux, mais l'usage de moyens occultes et de procédés
physiques subtils, s'il s'avérait possible, ouvrirait une voie plus vaste et permettrait d'éviter les
limitations, les dégradations, les insuffisances et la lourde imperfection des moyens et des résultats
accessibles aux seules lois de la force matérielle. En Inde, depuis les temps les plus reculés, on a
toujours très généralement cru en la possibilité et en l'usage effectif de ce genre de pouvoirs par des
hommes très avancés en la connaissance des choses secrètes ou possédant une connaissance
spirituelle, une expérience spirituelle développée et une force dynamique; on trouve même dans les
Tantra (7) tout un système organisé exposant la méthode et la pratique de ces pouvoirs. D'une façon courante, on croit que l'intervention d'un yogi, par exemple, peut provoquer la naissance de la
progéniture désirée et l'on fait souvent appel à lui dans ce but; on lui demande même, parfois,
d'accorder sa bénédiction ou de faire acte de volonté afin que l'enfant ainsi conçu jouisse d'une
réalisation spirituelle ou d'une destinée spirituelle - des phénomènes de ce genre sont relatés non
seulement dans la tradition du passé mais par des témoins du présent. Mais tous ces cas supposent
encore nécessairement un recours aux moyens normaux de procréation et aux méthodes grossières
de la Nature physique. Si nous voulons éviter cette nécessité, il faut qu'une méthode purement
occulte devienne possible, un recours à des procédés supraphysiques agissant par des moyens
supraphysiques en vue d'un résultat physique, sinon le recours à l'impulsion sexuelle et au processus
animal ne saurait être transcendé. Si les phénomènes de matérialisation et de dématérialisation ont
quelque vérité et les occultistes les déclarent possibles, ils sont attestés par des incidents dont
beaucoup d'entre nous furent témoins (8)-, une méthode de ce genre ne sortirait pas du domaine du possible. En fait, suivant la théorie occultiste et selon la gradation des plans et étendues de notre
être tels que la science yoguique les décrit, il existe non seulement une force physique subtile, mais
une matière physique subtile qui se situe entre la vie et la matière grossière; créer dans cette
substance physique subtile et précipiter dans notre matérialité plus grossière les formes ainsi créées
est faisable. Il devrait être possible (et nous croyons qu'il est possible) qu'un objet formé dans cette
substance physique subtile puisse passer de cet état subtil à l'état de matière grossière directement,
par l'intervention d'une force et d'une méthode occultes, avec, ou même sans l'aide ni l'intervention d'un procédé matériel grossier. Une âme qui désirerait entrer dans un corps ou se former un corps
pour elle-même afin de prendre part à la vie divine sur la terre pourrait ainsi être aidée à le faire,
ou elle pourrait même se voir fournir une forme par ce procédé de transmutation directe sans
passer par la naissance ou par les moyens sexuels et sans être soumise à aucune des dégradations ni
des lourdes limitations qui accompagnent inévitablement notre croissance mentale et le
développement de notre corps matériel selon notre mode actuel d'existence. De la sorte, cette âme
pourrait immédiatement acquérir la structure, les pouvoirs et le fonctionnement supérieurs d'un
corps matériel vraiment divin tel qu'il émergera un jour dans cette évolution progressive qui
s'achemine vers une existence totalement transformée en sa vie comme dans ses formes au sein
d'une nature terrestre divinisée.
Mais quelles seraient la forme, la structure interne et externe, les instruments de ce corps divin?
L'histoire matérielle du développement du corps animal et humain fait que ce corps est enchaîné à
un système compliqué d'organes minutieusement élaborés et à un fonctionnement précaire qui à
tout moment peut se changer en désordre : un fonctionnement susceptible de n'importe quelle
désorganisation générale ou locale, soumis à un système nerveux qu'un rien dérange, commandé par
un cerveau dont les vibrations sont supposées mécaniques et automatiques et non sous notre
contrôle conscient. Suivant les matérialistes, tout cela est exclusivement un fonctionnement de la
matière, dont la réalité fondamentale est chimique. Nous devons croire que ce corps est bâti par
l'action d'éléments chimiques qui échafaudent les atomes, molécules et cellules, et qu'en outre
ceux-ci sont les seuls agents et les seuls pilotes à la base de cette structure et de ces instruments
physiques compliqués, lesquels sont la seule cause mécanique de toutes nos actions, toutes nos
pensées, tous nos sentiments; l'âme est une fiction; le mental et la vie, une pure et simple
manifestation ou figuration matérielle et mécanique de cette machine, laquelle est combinée et
automatiquement mise en mouvement par les forces inhérentes à la matière inconsciente, avec une
illusion de conscience dedans. Si telle était la vérité, il est évident qu'une divinisation ou une
transformation divine du corps, ou de quoi que ce soit d'autre, serait une pure illusion, une
imagination, une chimère impossible et insensée. Mais même si nous supposons qu'une âme, une
volonté consciente soit à l'oeuvre dans ce corps, elle ne pourrait pas parvenir à une transformation
divine sans un changement radical dans l'instrument corporel lui-même et dans l'organisation de
son fonctionnement matériel. L'agent transformateur, âme ou volonté, resterait enchaîné, son
travail serait bloqué par les limitations immuables de l'organisme physique, entravé par l'animal
originel inchangé en nous ou imparfaitement changé. Les possibilités de désordres, de  dérangements, de maladies, qui sont naturelles à cette organisation physique, seraient toujours là et
ne pourraient être prévenues que par une vigilance constante ou par une intervention obligatoire,
perpétuelle, de l'habitant et maître spirituel de l'instrument corporel. Ceci ne saurait s'appeler un
corps vraiment divin - un corps divin serait naturellement et perpétuellement libre de tous ces
troubles; cette liberté serait la vérité normale et naturelle de son être, et, par conséquent elle serait
immanquable et invariable. Une transformation radicale du fonctionnement - peut-être même de la
structure, en tout cas certainement des impulsions et des forces motrices trop mécaniques et trop
matérielles du système corporel - est impérieusement nécessaire. Quel agent trouverons-nous pour
opérer un changement si considérable et réaliser une libération si totale? Quelque chose doit exister
en nous - ou doit se développer : peut-être une partie centrale et encore occulte de notre être -, qui
contient des forces mais dont les pouvoirs dans notre constitution actuelle, pratique, ne représentent  qu'une petite fraction de ce qu'ils pourraient être; s'ils prenaient toute leur stature et le  commandement, ils seraient vraiment capables d'opérer la transformation physique nécessaire avec  toutes ses conséquences, à condition qu'ils fassent appel à l'aide de la lumière et de la force de l'âme  et de la conscience-de-vérité supramentale. Nous pourrions trouver certains indices à ce sujet dans  le système des chakra tel , qu'il est révélé par la connaissance tantrique et reconnu dans les divers  systèmes de yoga; ces chakra, ou centres de conscience, sont la source de tous les pouvoirs
dynamiques de notre être : ils organisent leur action à travers divers plexus qui s'échelonnent en
une série ascendante depuis le centre physique le plus bas (9) jusqu'au centre mental et spirituel le plus haut appelé "lotus aux mille pétales"(10) où la Nature ascendante (le "Pouvoir" symbolisé par le "Serpent" des Tantriques) rencontre le Brahman et se libère en l'Être divin. Ces centres sont
fermés ou à demi fermés en nous et il faut les ouvrir pour que leurs potentialités complètes puissent
se manifester dans notre nature physique; mais une fois ouverts et complètement actifs, il n'est guère de limite que l'on puisse fixer au développement de leurs puissances et à la possibilité d'une
transformation totale.
Mais quel serait l'effet de l'émergence de ces forces et de leur action libérée, divine, sur le corps
lui-même? Quelle serait leur connexion dynamique avec le corps et leur action transformatrice sur
la nature animale, qui est encore là avec ses impulsions animales et son fonctionnement
grossièrement matériel? Nous pouvons considérer que le premier changement inévitable serait la
libération du mental, de la force de vie, des instruments physiques subtils et de la conscience
physique : leurs activités deviendraient plus libres, plus divines, les opérations de leur conscience
seraient illimitées et s'étendraient à plusieurs dimensions, les pouvoirs supérieurs jailliraient
largement au grand jour, la conscience corporelle elle-même se sublimerait avec ses instruments et
ses facultés, elle deviendrait capable de manifester l'âme dans le monde de la matière. Les sens
subtils, à présent cachés en nous, pourraient venir à la surface et fonctionner librement; les sens
matériels eux-mêmes pourraient devenir des intermédiaires ou des canaux pour percevoir ce qui est
maintenant invisible pour nous et découvrir bien des choses autour de nous qui, pour le moment,
sont insaisissables et voilées à notre connaissance. Les impulsions de la nature animale pourraient
être solidement contrôlées ou purifiées et subtilisées de manière à servir d'auxiliaires au lieu d'être
un encombrement et, ainsi transformées, elles pourraient prendre part au fonctionnement d'une vie
plus divine. Mais même tous ces changements laisseraient encore un résidu de fonctionnements
matériels qui garderaient leurs vieilles habitudes et n'obéiraient pas à la direction supérieure, et si
ce résidu ne peut pas être changé, tout le reste de la transformation risque d'être mis en échec et
incomplet. Une transformation totale du corps semble exiger un changement suffisant dans la partie
la plus matérielle de l'organisme, dans sa constitution, son fonctionnement et dans la structure de sa
nature.
En outre, on pourrait croire qu'une maîtrise complète devrait suffire : une connaissance de
l'organisme et une vision de son fonctionnement invisible, une maîtrise effective qui règle ses
opérations conformément à la volonté consciente - ce genre de possibilité a déjà été réalisé et l'on
affirme qu'il fait partie du développement des pouvoirs intérieurs chez certains individus. Arrêter la
respiration tout en gardant l'équilibre de la vie du corps, sceller hermétiquement et à volonté non
seulement le souffle mais toutes les manifestations vitales pendant de longues périodes, arrêter
volontairement le coeur, également, tandis que la pensée, la parole et les autres activités mentales
continuent sans interruption, tous ces phénomènes et bien d'autres témoignant du pouvoir de la
volonté sur le corps sont des exemples connus et bien prouvés de ce genre de maîtrise. Mais ce sont
là de simples succès intermittents et sporadiques, ce n'est pas la transformation; il faut un contrôle
total, une maîtrise permanente, habituelle; en fait, il faut une maîtrise naturelle. Mais même si l'on
y parvenait, il faudrait encore quelque chose de plus fondamental pour opérer la libération
complète et changer notre corps en un corps divin.
On pourrait soutenir aussi que la structure organique du corps autant que sa forme extérieure,
fondamentale, devraient continuer d'exister comme une base matérielle indispensable pour garder
le lien avec la nature terrestre, faire la jonction entre la vie divine et la vie de la terre, et assurer la
continuité du processus évolutif en empêchant une rupture vers le haut, un éclatement hors de
l'évolution, dans un état d'être qui appartiendrait à un plan supérieur à proprement parler et non à
une réalisation divine sur la terre. Prolonger l'existence même de l'animal dans notre nature - en le
transformant suffisamment pour qu'il devienne un instrument de la manifestation et non un obstacle-, serait indispensable à la préservation de la continuité, à la totalité évolutive; l'animal serait
nécessaire en tant que véhicule vivant (vâhana) du dieu qui émerge dans le monde matériel et qui
devrait accomplir les oeuvres et les merveilles de la vie nouvelle. Il est certain qu'une forme
corporelle est nécessaire pour faire la jonction et qu'il faut un corps dont le fonctionnement puisse
contenir le dynamisme terrestre et ses activités fondamentales; mais ce chaînon ne doit pas être une
chaîne ni une limitation emprisonnante ni une contradiction de la totalité du changement. Or,
précisément, garder notre organisme tel qu'il est sans la moindre transformation serait assurément
une chaîne et un emprisonnement dans la vieille nature. Il y aurait bien une base matérielle, mais
elle serait tout à fait terre à terre; ce serait la vieille terre et non une terre nouvelle avec une
structure psychologique plus divine, car le vieil organisme ne serait pas en harmonie avec cette
structure plus divine, il serait incapable de servir son évolution future ni même de supporter cette
structure et de lui servir de base dans la matière. Il enchaînerait une partie de l'être - la partie
inférieure - à une humanité non transformée, à un fonctionnement animal inchangé, et empêcherait
sa libération en la surhumanité de la nature supramentale. Un changement est donc nécessaire ici
aussi, cela fait indispensablement partie de la transformation totale du corps qui divinisera l'homme
tout entier, du moins ultimement, au lieu de laisser son évolution incomplète.
Ce but, disons-le, ne serait pas loin d'être réalisé si les chakra, les centres avec leurs instruments et
leurs forces, régnaient sur toutes les activités de notre nature, dominaient entièrement le corps et
faisaient de sa forme structurale autant que de ses opérations organiques un libre canal et un moyen
de communication, un instrument plastique de cognition et d'action dynamique servant toutes leurs
opérations dans la vie matérielle et dans le monde de la matière. Il faudrait un changement dans le
mode opératoire des organes matériels eux-mêmes, peut-être même dans leur constitution et dans
leur importance - il ne leur serait plus permis d'imposer impérieusement leurs limitations à la vie
physique nouvelle. Et tout d'abord, les organes matériels eux-mêmes pourraient devenir plus
manifestement une sorte de terminaison extérieure des voies de communication et d'action, servir
plus efficacement les desseins psychologiques de l'habitant intérieur, réagir d'une façon moins
aveugle et moins matérielle, être plus conscients de l'action et du dessein des mouvements intérieurs  et des pouvoirs intérieurs, car ce sont ceux-ci qui utilisent les organes et non les organes qui les  engendrent et les utilisent comme le suppose à tort l'homme matériel en nous. Le cerveau
deviendrait un canal de communication de la forme des pensées, un accumulateur de leur pression
sur le corps et sur le monde extérieur où elles pourraient, alors, se réaliser directement, se
communiquer sans moyens matériels, d'esprit à esprit, et produire directement aussi leurs effets sur
les pensées, les actions et la vie d'autrui, ou même sur des circonstances matérielles. De même, le
coeur serait un transmetteur direct, un relais des sentiments et des émotions projetés sur le monde
par les forces du centre psychique. Le coeur pourrait répondre directement au coeur, la force de vie
venir en aide à d'autres vies et répondre à leur appel en dépit de leur étrangeté et des distances - de
nombreux êtres pourraient vibrer du même message reçu sans la moindre communication
extérieure et se rencontrer en la lumière secrète émanée par un même centre divin. La volonté
pourrait commander aux organes nourriciers, protéger automatiquement la santé, éliminer l'avidité
et le désir, substituer aux procédés matériels des procédés plus subtils ou puiser l'énergie et la
substance dans la force de vie universelle de sorte que le corps pourrait garder longtemps ses
propres énergies et sa substance sans perte ni usure et sans avoir besoin de se sustenter par des
aliments matériels tout en pouvant continuer sans fatigue une activité intense et sans qu'il soit
nécessaire de s'interrompre pour se reposer ou dormir. La volonté de l'âme ou celle du mental
pourrait agir de sources plus hautes sur le centre sexuel et sur les organes sexuels, maîtriser
solidement l'aiguillon du sexe ou même bannir l'impulsion sexuelle grossière et, au lieu d'être au
service d'une excitation animale, d'une obscure poussée, d'un désir brutal, s'en servir pour
emmagasiner, produire et diriger vers le cerveau, vers le coeur et vers la force de vie l'énergie
essentielle, ôjas, dont cette région est l'usine, alimentant ainsi l'action du mental, de l'âme, de
l'esprit et des pouvoirs supérieurs de la vie, et réduisant les dépenses d'énergie à des fins inférieures.
L'âme, l'être psychique, pourrait alors plus facilement emplir tout l'être de sa lumière et mettre la
matière elle-même du corps à un usage plus haut, au service des desseins supérieurs de l'âme.
Ce serait déjà un premier et puissant changement, mais certes pas tout ce que l'on peut obtenir ni
espérer. Il se pourrait bien que la poussée évolutive procédât à un changement des organes
eux-mêmes, de leur fonctionnement matériel, de leur utilisation, et que l'indispensabilité de leur
usage, voire de leur existence, soit considérablement diminuée. Les centres du "corps subtil", soûkshma sharîra (dont nous deviendrions conscients au point de percevoir tout ce qui se passe en
lui) déverseraient leurs énergies dans les nerfs, les plexus, les tissus matériels, et irradieraient le
corps matériel tout entier. Dans cette existence nouvelle, toute la vie physique et toutes les activités
nécessaires pourraient être alimentées et actionnées par ces instruments supérieurs, avec une
liberté et une ampleur plus grandes, et par des méthodes moins encombrantes et moins restrictives.
Ce changement pourrait aller si loin que les organes eux-mêmes pourraient cesser d'être
indispensables; nous sentirions qu'ils sont trop obstructifs : la force centrale aurait de moins en
moins recours à eux et, finalement, s'en dispenserait complètement. Si les choses en arrivaient là, les
organes pourraient dépérir par atrophie, être réduits à un minimum insignifiant, ou même
disparaître. La force centrale pourrait les remplacer par des organes subtils d'un caractère tout
différent, ou, si quelque agent matériel restait nécessaire, par des instruments qui seraient des
"dynamismes en forme" ou des "transmetteurs malléables" plutôt que des organes tels que nous les
connaissons. Tout cela pourrait fort bien faire partie d'une transformation totale et suprême du
corps, bien que ce ne soit pas là non plus le dernier mot. Envisager de tels changements, c'est
regarder très loin en avant, et les esprits attachés à la forme présente des choses seront peut-être
incapables d'ajouter foi à ces possibilités. Mais nulle limite, nulle impossibilité de changement, s'il
est nécessaire, ne peut être imposée à la poussée évolutive. Il n'est pas inévitable que tout soit
fondamentalement changé; au contraire, tout ce qui est encore nécessaire à la totalité doit être
conservé, mais tout devra devenir parfait. Tout ce qui est utile au but évolutif, tout ce qui est
susceptible d'accroître, d'élargir et de hausser la conscience - car tel semble être le but de
l'évolution et sa volonté centrale ici-bas -, ou tout ce qui est nécessaire pour faire progresser les
moyens d'action de l'évolution et son milieu protecteur doit être conservé et encouragé; mais tout ce
qui doit être dépassé, tout ce qui n'a plus d'utilité ou qui est dégradé, qui n'aide plus, qui retarde,
doit être rejeté et abandonné sur le chemin. C'est ce qu'illustre clairement l'histoire de l'évolution
des corps depuis leurs premières formes élémentaires jusqu'au type le plus développé : l'homme -
nous ne voyons pas de raison que ce processus ne continue pas pour la transition du corps humain
au corps divin. Si un corps divin doit se manifester ou se bâtir sur la terre, il faut un début de
transformation, l'apparition d'un type nouveau plus élevé et plus développé, et non une simple
continuation sans grand changement de la forme physique actuelle et de ses possibilités limitées. Ce
qui est à conserver doit l'être, certes, c'est-à-dire tout ce qui est indispensable aux besoins de la vie
nouvelle sur la terre ou qui est parfaitement pratique; tout ce qui est encore nécessaire et qui peut
être utile aux desseins de la vie nouvelle, quoique imparfaitement, devra être retenu mais développé
et perfectionné; tout ce qui n'a plus d'utilité aux fins nouvelles ou qui est une servitude doit être
rejeté. Les formes de matière et les instruments matériels indispensables doivent rester, puisque
c'est dans un monde de matière que la vie divine doit se manifester, mais leur matérialité doit être
raffinée, allégée, ennoblie, illuminée, puisque la matière et le monde de la matière doivent
manifester de plus en plus l'Esprit qui les habite.
Le type nouveau, le corps divin, doit continuer la forme évolutive déjà modelée; il doit y avoir une
continuation à partir du type formé par la Nature tout au long de son histoire, une continuité du
corps humain au corps divin - pas de rupture brutale, pas de passage à un état méconnaissable, mais
une haute suite de ce qui a déjà été accompli et en partie perfectionné. Le corps humain recèle des
facultés et des instruments suffisamment évolués pour servir la vie divine; ceux-ci doivent survivre
dans leur forme, mais leur perfection doit être poussée plus loin encore, les limites de leur champ
d'action et de leur utilisation doivent disparaître, leurs tendances défectueuses, leur sujétion à la
maladie et à la dégradation être éliminées et leurs capacités de cognition et d'action dynamique
dépasser les limites présentes. Le corps devra acquérir de nouveaux pouvoirs - que notre humanité
de maintenant peut difficilement espérer réaliser et dont elle ne peut même pas rêver, ou qu'elle
peut seulement imaginer. Tant de choses maintenant qui ne peuvent être connues, exécutées ou
créées qu'en se servant d'outils et de machines inventées pourraient alors être accomplies par le
corps nouveau avec son propre pouvoir ou par l'esprit qui l'habite et par sa force spirituelle directe.
Le corps lui-même pourrait acquérir de nouveaux moyens de communication avec les autres corps,
trouver de nouvelles régions de communication, de nouveaux procédés pour obtenir la
connaissance, une nouvelle sensibilité, de nouvelles forces pour se manoeuvrer lui-même ou
manoeuvrer les objets. II ne serait pas impossible qu'il recèle et révèle des moyens inhérents à sa
propre constitution et à sa substance, des instruments naturels pour rendre proche ce qui est loin et
annuler les distances, pour connaître ce qui échappe maintenant à la perception du corps, agir là où
maintenant l'action est hors de son atteinte et de son domaine, pour parvenir à des subtilités et à des plasticités qu'interdisent la fixité dont la forme matérielle a besoin dans les conditions présentes.
Ces possibilités, et bien d'autres, pourraient faire leur apparition et le corps pourrait devenir un
instrument incomparablement supérieur à tout ce que nous pouvons imaginer de possible
maintenant. Il pourrait se produire, une fois établie la première emprise de la Conscience-
de-Vérité, une évolution qui parviendrait aux suprêmes hauteurs des degrés ascendants du
supramental et qui pourrait peut-être même dépasser les frontières du supramental proprement dit,
là où commencent à se silhouetter, se façonner, se délinéer les formes qui sont l'expression d'une vie
touchée par la suprême et pure Existence-Conscience-Béatitude qui constitue les mondes d'une
vérité d'existence souveraine : mondes du Tapas (11) dynamique, de la gloire et de la douceur de la
béatitude - essence et cime absolue de l'Ânanda (12) créateur de tout. La transformation de l'être physique pourrait suivre cette courbe de progression continue et le corps divin réfléchir ou
reproduire ici-bas, dans une vie divine sur la terre, quelque éclat de cette grandeur et de cette
gloire suprêmes de l'Esprit en manifestation.

(1) Vaïshnava : les fidèles de Vichnou (et particulièrement de Krishna, incarnation de Vichnou).

(2) Chinmaya déha : le corps conscient ou corps doré.

(3) Dharma : la loi profonde qui gouverne l'individu.

(4) Sâdhanâ : discipline spirituelle, pratique du yoga.

(5) Îshwara, le Seigneur suprême, l'Éternel, la Transcendance divine, et Shakti, la force créatrice, la
Mère divine. Au niveau de la création, Îshwara-Shakti (être double) deviennent Pourousha-Prakriti:
Pourousha, l'Âme par opposition à la Nature (Prakriti), l'Être par opposition au Devenir, la base
consciente sur laquelle se déroule le jeu de la Prakriti.

(6) Lîlâ : le jeu cosmique du Divin.

(7) Tantra : système de yoga qui, à la différence de l'illusionnisme et de ceux qui poursuivent
exclusivement la voie de la Connaissance, fait du principe dynamique ou de la Force créatrice,
Shakti, son principe central. Au lieu de rejeter le monde, il cherche à maîtriser ses pouvoirs. (Note
de l'Éditeur)

(8) Sri Aurobindo fait allusion (entre autres choses) à un incident qui s'est produit en 1921 à
Pondichéry, dans le "Guest House" où il habitait. Un cuisinier congédié était allé trouver un
magicien local pour se venger, et une pluie de pierres s'est mise à tomber dans la cour du "Guest
House" régulièrement, pendant plusieurs jours. Ceux qui étaient au premier étage pouvaient voir
les pierres se former juste à hauteur de leurs yeux, puis tomber dans la cour. Ces pierres étaient si
réelles qu'elles ont blessé un jeune serviteur et que l'on pouvait les ramasser (certains disciples en
ont même gardé pendant plusieurs années, elles avaient la particularité d'être toutes couvertes de
mousse). Enfin, les pierres se sont mises à tomber de plus en plus grosses, dans les chambres
fermées. Il ne pouvait plus y avoir de doute sur leur origine occulte. La Mère est alors intervenue
avec son pouvoir intérieur et la "pluie" a cessé ... Mais quelques jours après, on vit accourir la fille
du cuisinier qui venait demander la grâce de Sri Aurobindo - le cuisinier était en train de mourir à
l'hôpital, frappé par le "choc en retour" de sa pluie de pierres. Sri Aurobindo a répondu avec un
sourire : "Oh! just for a few stones!" (oh! pour quelques pierres!). Et tout est rentré dans l'ordre.
Cet incident est relaté en détail dans un Entretien de la Mère (du 10 mars 1954) et par A. B. Purani,
Life of Sri Aurobindo, p. 273.

(9) Le moûlâdhâra, à la base de la colonne vertébrale.

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