Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo SRI AUROBINDO - YOGA INTEGRAL: juillet 2015

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

Le premier résultat radical de mon propre yoga



— Le premier résultat radical de mon propre yoga fut de me conduire au nirvâna. Je fus soudainement pro­jeté dans un état au-dessus de la pensée et sans pensée, que n'entache aucun mouvement mental ni vital. Pas d'e­go ni de monde réel, sauf que, si l'on regardait au travers des sens immobiles, quelque chose percevait ou portait, sur son pur silence, un monde de formes vides, des om­bres matérialisées, dépourvues de vraie substance. Pas de Un ni même de plusieurs. Tout simplement et absolument Cela, sans traits ni rapports, pur, indescriptible, inconce­vable, absolu, et cependant suprêmement réel, unique­ment réel. Non pas une réalisation mentale ni quelque chose d'aperçu quelque part là-haut, non pas une abstrac­tion. C'était positif, la seule réalité positive qui, bien que n'étant pas un univers physique et spatial, s'infiltrait, pénétrait ou plutôt submergeait et noyait ce semblant de monde physique, ne laissait ni place ni espace à aucune réalité autre qu'elle-même, ne permettait à rien d'autre de paraître aucunement actuel, positif ou substantiel. Je ne peux pas dire que cette expérience, telle que je la connus alors, ait rien eu de transportant ou d'enivrant (quant à celle de l'ânanda ineffable, je l'eus des années plus tard), mais ce qu'elle m'apporta fut une Paix indicible, un silence prodigieux, une libération et une liberté infinies. Je vécus jour et nuit dans ce nirvâna avant qu'il ne commen­çât d'admettre d'autres choses en lui-même ou de se mo­difier en aucune façon. Le coeur même de l'expérience, son souvenir constant et le pouvoir d'y retourner subsistèrent jusqu'à ce que, à la fin, cela commençât à se fondre en une Supraconscience encore plus grande et qui venait d'en haut. Mais, entre-temps, les réalisations s'a­joutaient les unes aux autres et venaient s'immerger en l'expérience originelle. Très tôt, l'aspect de monde illusoi­re fit place à un autre aspect où l'illusion* n'est qu'un pe­tit phénomène de surface avec une immense Réalité divine derrière lui, une suprême Réalité divine au-dessus de lui et une intense Réalité divine au coeur même de tout ce qui, au premier abord, n'avait semblé qu'une ombre ou forme cinématique. Et il ne s'agissait pas d'un nouvel emprison­nement des sens, d'une diminution ou chute du haut de l'expérience suprême, mais plutôt d'une élévation et d'un élargissement constants de la vérité. C'était l'esprit qui voyait les choses, non plus les sens, et la Paix, le silence, la liberté en l'infini demeuraient à jamais, le monde ou tous les mondes n'étant qu'un incident continu dans l'éternité divine hors du temps.



*. En fait, ce n'était pas une illusion au sens d'une chose sans fonde­ment ni réalité et qui est imposée à la conscience, mais une fausse in­terprétation par le mental conscient et les sens, un emploi abusif et falsi­ficateur d'une existence manifestée.

Sri Aurobindo, Lettres Sur le Yoga

Expériences personnelles de Shri Aurobindo



— Ma première expérience majeure — radicale et submergeante, bien qu'elle ne soit, comme il apparut plus tard, ni finale ni complète — est venue après l'exclusion et la mise au silence de toute pensée et par cela même. Il y eut d'abord ce qu'on pourrait appeler une conscience spirituellement substantielle ou concrète du calme et du silence, puis la conscience de quelque Réalité unique et su­prême en présence de quoi les choses existaient seulement en tant que formes, mais des formes qui n'étaient aucune­ment substantielles, ni réelles, ni concrètes. Mais tout cela était apparent à une perception spirituelle, à un sens es­sentiel et impersonnel, et il n'y avait pas le moindre con­cept ou idée de réalité ou d'irréalité ou d'aucune autre no­tion, car tout concept ou idée était mis en sourdine ou plutôt totalement absent dans le calme absolu. Ces choses m'étaient connues directement par la pure conscience et non par le mental ; aussi n'y avait-il aucun besoin de con­cepts ou de mots ou de noms. Par ailleurs, ce caractère fondamental de l'expérience spirituelle n'est pas absolument limitatif. Elle peut se passer de pensée, mais elle peut aussi s'en accommoder. Naturellement, la première idée du mental serait que l'appel à la pensée nous ramène aussitôt dans le domaine de l'intellect, et au début, et pendant longtemps encore, il peut en être ainsi, mais d'après mon expérience ce n'est pas inévitable. Cela se produit lorsqu'on essaie de faire un exposé intellectuel de ce qu'on a éprouvé. 

Sri Aurobindo, Lettres sur le Yoga

Différents stades de la sadhana


   Les trois expériences dont vous parlez appar­tiennent toutes au même mouvement ou au même stade de votre vie spirituelle ; ce sont les mouvements initiaux de la conscience pour devenir consciente de votre moi intérieur qui était, comme chez la plupart des gens, voilé par le moi extérieur de l'état de veille. Il y a, pourrait-on dire, deux êtres en nous, un à la surface, qui est notre mental extérieur ordinaire, notre vie, notre conscience du corps, et un autre derrière le voile, un mental intérieur, une vie intérieure et une conscience physique intérieure qui constituent un autre moi, intérieur. Une fois éveillé, ce moi intérieur s'ouvre à son tour à notre vrai Soi éternel réel. Il s'ouvre vers l'intérieur, à l'âme (dans la terminolo­gie de notre yoga appelée l'être psychique) qui soutient nos naissances successives, et à chacune d'elles revêt un nouveau mental, une nouvelle vie, un nouveau corps. Il s'ouvre au-dessus vers le Soi ou Esprit qui est non-né, et en recouvrant consciemment ce soi nous transcendons no­tre personnalité changeante et réalisons la liberté et la pleine maîtrise de notre nature.

    Vous avez fort bien fait de développer d'abord les qua­lités sattviques et de construire la quiétude méditative intérieure. Par la méditation assidue et par certaines méthodes d'effort intense il est possible d'ouvrir les portes sur l'être intérieur ou même d'abattre quelques-uns des murs entre le moi intérieur et le moi extérieur avant qu'on ait terminé ou même entrepris cette discipline prélimi­naire, mais il n'est pas toujours sage de le faire, car cela peut conduire à des conditions de sâdhanâ susceptibles d'être très troubles, chaotiques, exposées à d'inutiles dangers. En adoptant la méthode plus patiente, vous êtes arrivé à un point où les portes de l'être intérieur ont commencé presque automatiquement à s'ouvrir. Les deux opérations peuvent marcher de pair, mais il est nécessaire de maintenir la quiétude, la patience et la vigilance sattviques, de ne rien presser, de ne rien forcer, de ne pas se laisser entraîner par un puissant attrait ou appel du stade intermédiaire qui commence actuellement avant d'être certain que c'est le bon appel. Car les forces des plans inférieurs tirent souvent à elles avec véhémence dans des conditions où il est dangereux de les suivre.

    Votre première expérience est une ouverture en le moi mental intérieur. L'espace entre les sourcils est le centre du mental, de la vision, de la volonté intérieurs, et la lumière bleue que vous avez vue était celle d'un plan mental supérieur, un mental spirituel, pourrait-on dire, qui est au-dessus de l'intelligence mentale humaine ordinaire. Une ouverture en ce mental supérieur est généralement accompagnée par un silence de la pensée mentale ordinaire.

    En réalité nos pensées ne sont pas réellement créées en nous, indépendamment, dans la petite et étroite machine pensante que nous appelons notre mental ; elles nous viennent en fait d'un vaste espace ou éther mental, soit comme vagues mentales, soit comme vagues de force mentale, avec une signification qui prend forme dans no­tre mental personnel, ou encore comme formations de pensée toutes faites que nous adoptons et appelons nôtres. Notre mental extérieur est aveugle à ce processus de la na­ture, mais en éveillant le mental intérieur nous pouvons en prendre conscience.

    Ce que vous avez vu était le recul de cette invasion mentale constante et la retraite de ces formes de pensée derrière l'horizon du vaste espace de la Nature mentale. Vous avez senti que cet horizon était quelque part en vous, mais il était évidemment dans ce plus vaste espace du Soi, que même dans son domaine plus limité, juste entre les sourcils, vous avez senti plus grand que l'es­pace physique correspondant.

    En fait, bien que les espaces du mental intérieur aient des horizons, ils s'étendent au-delà de ces horizons, illimi­tablement. Le mental intérieur est quelque chose de très vaste qui se projette en l'infini et finalement s'identifie à, l'infinité du Mental universel. Lorsque nous nous évadons des limites étroites du mental physique extérieur, nous commençons à voir vers l'intérieur et à sentir cette am­pleur, finalement cette universalité et cette infinité du mental espace-du-soi.

    Les pensées ne sont pas l'essence de l'être mental ; elles ne sont qu'une activité de la nature mentale. Si cette acti­vité cesse, ce qui apparaît alors comme une existence dépourvue de pensées prenant sa place n'est pas un vide, un blanc, mais quelque chose de très réel, substantiel et concret, pourrions-nous dire, un être mental qui s'étend vastement et qui peut être son propre champ d'existence, silencieux ou actif, aussi bien que le Témoin, le Connais­sant, le Maître de ce champ et de son action. Certains l'éprouvent d'abord comme un vide, mais c'est parce que leur observation est insuffisante et non éduquée, et que la perte de l'activité leur donne l'impression d'un blanc. Il y a bien un vide, mais c'est un vide d'activités ordinaires, ce n'est pas un blanc de l'existence.

    L'expérience récurrente de la retraite des pensées, l'ar­rêt du mécanisme qui engendre les pensées et son rempla­cement par le mental espace-du-soi sont normaux ; c'est ce qui doit se faire. Car ce silence ou en tout cas la fa­culté d'avoir ce silence doit croître jusqu'à ce qu'on puisse l'obtenir à volonté ou même qu'il soit établi en une automatique permanence. En effet ce silence du méca­nisme mental ordinaire est nécessaire pour que la menta­lité supérieure puisse se manifester, descendre, prendre par degrés la place de la mentalité imparfaite actuelle et transformer les activités de celle-ci en ses propres mouvements plus pleins. La difficulté de sa venue lorsque vous êtes au travail n'existe qu'au commencement ; ensuite, quand elle est plus assise, on s'aperçoit qu'on peut exercer toutes les activités de la vie soit dans le silence même qui pénètre tout, soit au moins avec ce silence pour support et pour toile de fond. Le silence reste par-derrière et il y a l'action nécessaire en surface ; ou encore le silence est notre vaste soi et quelque part en lui une Puissance active fait les travaux de la Nature sans troubler le silence. Il est par conséquent tout à fait juste d'interrompre le travail pendant que cette expérience nous visite ; le développement de cette conscience intérieure silencieuse a suffisamment d'importance pour justifier une brève interruption ou pause.

    Dans le cas des deux autres expériences au contraire, il en va différemment. Il ne faut pas permettre à l'expérience de rêve de s'emparer des heures de veille et d'attirer la conscience en elle ; elle doit restreindre son action aux heures de sommeil. De même il ne doit y avoir ni poussée ni pression pour abattre le mur entre le moi intérieur et le « je » extérieur ; il faut permettre à la fusion de se pro­duire par une action intérieure qui se développe à son heure, naturellement.


Votre deuxième expérience est un premier mouvement d'éveil de l'être intérieur dans le sommeil. Lorsqu'on dort, il se produit généralement un phénomène complexe. La conscience de veille n'est plus là, car tout a été ramené au-dedans, dans les domaines intérieurs dont nous n'avons pas conscience quand nous sommes éveillés —bien qu'ils existent — car alors le mental de veille place tout cela derrière un voile, et il ne reste rien que le moi de surface et le monde extérieur, à peu près comme le voile du soleil nous cache les vastes mondes stellaires qui sont derrière lui. Le sommeil est une pénétration à l'intérieur, dans laquelle le moi de surface et le monde extérieur sont écartés de notre sens et de notre vision. Mais dans le som­meil ordinaire nous ne prenons pas conscience des mondes intérieurs, l'être y semble submergé dans une profonde subconscience. A la surface de cette subconscience flotte une couche obscure dans laquelle les rêves, nous semble-t-il, ont lieu ou, pour parler plus exactement, sont enre­gistrés. Quand nous dormons très profondément, nous avons ce qui nous paraît être un sommeil sans rêves ; en fait il s'y produit cependant des rêves, mais ou bien ils se déroulent trop profond pour atteindre la surface, ou bien ils sont oubliés, tout souvenir de leur existence même étant effacé lors du passage à la conscience de veille.
 
    Pour la plus grande part les rêves ordinaires sont ou semblent incohérents parce que ou bien ils sont tissés par le subconscient avec des impressions situées profondément en nous, laissées là par notre vie passée, intérieure et extérieure, et tissées d'une manière fantastique qui ne donne pas facilement à la mémoire de l'esprit de veille la clé de leur signification, ou bien ce sont des traces frag­mentaires, le plus souvent déformées, d'expériences qui se déroulent derrière le voile du sommeil, et d'ailleurs ces deux éléments se mêlent dans une large mesure. Car en fait, dans le sommeil, une grande partie de notre con­science ne sombre pas dans cet état subconscient ; elle passe par-delà le voile dans d'autres plans de l'être qui sont reliés avec nos propres plans intérieurs, plans d'exis­tence supraphysique, mondes d'une vie, d'un mental, d'une psyché plus larges, qui sont là, par derrière, et dont les influences viennent à nous sans que nous le sachions. A l'occasion nous recevons de ces plans un rêve, un peu plus qu'un rêve, une expérience de rêve qui est un enregis­trement direct ou symbolique de ce qui nous y arrive ou de ce qui s'y produit autour de nous.

    A mesure que la conscience intérieure croît par la sâ­dhanâ, ces expériences de rêve augmentent en nombre, en clarté, en cohérence, en exactitude ; après une certaine croissance de l'expérience et de la conscience, nous pou­vons, si nous les observons, arriver à les comprendre et à discerner leur signification pour notre vie intérieure. En nous y entraînant, nous pouvons même devenir assez conscients pour suivre notre propre passage —généralement voilé à notre perception et à notre mémoire — à travers beaucoup de domaines, et aussi l'opération du retour à l'état de veille. A un certain degré de cet éveil intérieur, ce genre de sommeil, un sommeil d'expériences, peut remplacer le sommeil subconscient habituel.

    C'est naturellement un être intérieur ou conscience intérieure ou quelque chose du moi intérieur qui croît ain­si, non pas derrière le voile du sommeil, comme c'est généralement le cas, mais dans le sommeil même. Dans l'état que vous décrivez, il commence tout juste à prendre conscience du sommeil et du rêve et à les observer — mais rien de plus pour le moment — à moins que quelque chose vous ait échappé dans la nature de vos rêves. Mais il est suffisamment éveillé pour que la conscience de sur­face se rappelle cet état, c'est-à-dire en reçoive et en con­serve le compte rendu même dans le passage du sommeil à l'état de veille, passage qui généralement fait tomber dans l'oblivion tout le compte rendu (sauf quelques fragments) de ce qui s'est passé dans le sommeil. Vous avez raison de sentir que la conscience de veille et ce qui est éveillé dans le sommeil ne sont pas la même chose. Ce sont des parties différentes de l'être.

    Lorsque commence à croître cette conscience du som­meil profond, on est souvent tiré vers l'intérieur et appelé à poursuivre ce développement, même quand il n'y a ni fatigue ni besoin de sommeil. Une autre cause y contri­bue, c'est que généralement la partie vitale de l'être intérieur est celle qui s'éveille la première dans le sommeil et que les premières expériences de rêve (par opposition aux rêves ordinaires) sont généralement, pour la grande masse, des expériences du plan vital : un monde de vie su­praphysique, plein de variété et d'intérêt, avec beaucoup de provinces, lumineuses ou obscures, belles ou péril­leuses, souvent extrêmement attrayantes, où nous pouvons aussi acquérir beaucoup de connaissances, à la fois des parties cachées de notre nature et des choses qui nous arrivent de derrière le voile, d'autres choses aussi qui affectent le développement des parties de notre nature. L'être vital en nous peut alors être très attiré par cette gamme d'expériences, peut désirer vivre davantage en elles et moins dans la vie extérieure. C'est de là que viendrait ce désir, qui accompagne le désir de s'endormir, de retourner à quelque chose d'intéressant et de passionnant. Mais il ne faut pas encourager cette tendance pendant les heures de veille ; il faut la garder pour les heures réservéesau sommeil et où elle trouve son champ d'action naturel. Sinon il peut se produire un déséquilibre, une tendance à vivre davantage, trop, dans les visions des domaines supraphysiques et à relâcher son emprise sur les réalités extérieures. Cette connaissance, cet élargissement de notre conscience en ce qui concerne ces domaines de la nature intérieure sont fort souhaitables, mais il faut les garder à leur place, dans leurs propres limites.


    Ce que vous avez ressenti [dans votre troisième expérience] est en vérité un toucher du Soi, non pas du Soi non-né qui est au-dessus, de l'Atman des Upanishads, car on l'éprouve différemment, par le silence du mental pensant, mais de l'être intérieur, du psychique dont j'ai parlé et qui soutient l'être intérieur mental, vital et phy­sique. Pour tout chercheur de la pleine connaissance de soi, un jour doit venir où il sera ainsi conscient de vivre à la fois dans deux mondes, deux consciences, deux parties de la même existence.

   Pour le moment il vit dans le moi extérieur, mais il ira de plus en plus vers le dedans, jusqu'à ce que la situation soit renversée et qu'il vive au dedans, en cette nouvelle conscience intérieure, ce nouveau moi intérieur, et qu'il sente l'extérieur comme quelque chose en surface, formé comme personnalité instrumentale pour l'expression de soi de l'intérieur dans le monde matériel. Alors, de l'intérieur, un Pouvoir agit sur l'extérieur pour en faire un instrument plastique et conscient, de telle sorte que fi­nalement l'intérieur et l'extérieur puissent être fondus en un.

    Le mur que vous sentez est bien le mur de l'ego qui repose sur l'identification obstinée de soi-même avec la personnalité extérieure et ses mouvements. C'est cette identification qui est la clé de voûte de la limitation et de la servitude dont souffre l'être extérieur, qui empêchent
l'expansion, la connaissance de soi, la liberté spirituelle. Malgré cela, le mur ne doit pas être abattu prématurément, car cela pourrait conduire à une dislocation, une confusion ou une invasion de l'une des deux parties par les mouvements des deux mondes séparés avant que ceux-ci ne soient prêts à s'harmoniser. Une certaine séparation reste nécessaire pendant quelque temps après que l'on a pris conscience de l'existence côte à côte de ces deux parties de l'être. Il faut donner à la force du yoga le temps de faire les ajustements et ouvertures nécessaires, d'emmener l'être au-dedans et, de cet équilibre intérieur, d'agir sur la nature extérieure.

    Cela ne signifie pas qu'il faille interdire à la conscience d'aller au-dedans, afin que le plus tôt possible elle vive dans. le monde intérieur de l'être et, de là, voie tout sous un jour nouveau. Cette pénétration au-dedans est fort souhaitable et nécessaire, et ce changement de vision aussi. Je veux simplement dire que tout cela doit s'opérer par un mouvement naturel et sans hâte. Ce mouvement de pénétration au-dedans peut venir rapidement, mais même après cela il reste quelque chose du mur de l'ego, qu'il faut assidûment et patiemment démolir afin qu'il ne puisse plus en rester une pierre. Mon avertissement contre la tendance à laisser le monde du sommeil empiéter sur les heures de veille se borne à cela et ne vise pas le mouvement vers l'intérieur dans la concentration à l'état de veille ou la conscience ordinaire de veille.

    Ce mouvement d'éveil nous emporte finalement dans le moi intérieur et par ce moi intérieur nous croissons jus­qu'à prendre contact avec les mondes supraphysiques et à les connaître, mais ce contact et cette connaissance n'ont pas besoin de nous conduire — et ne devraient pas nous conduire — à nous en préoccuper de façon excessive ni à nous soumettre à leurs êtres et à leurs forces. Dans le sommeil, nous entrons en fait dans ces mondes et si l'attraction de la conscience du sommeil est trop grande et empiète sur la conscience de l'état de veille, nous nous exposons au danger de cette préoccupation et de cette in­fluence excessives.

    Il est parfaitement vrai qu'une pureté et une sincérité intérieures, dans lesquelles on est mû exclusivement par l'appel supérieur, est la meilleure garantie contre les ap­pâts du stade intermédiaire. Cela nous maintient sur la bonne voie et nous empêche de dévier jusqu'à ce que l'être psychique soit pleinement éveillé et passe en avant ; et une fois que cela est fait, il n'y a plus de danger. Si en plus de cette pureté et de cette sincérité il y a un mental clair doué du pouvoir de discrimination, cela accroît la sécurité dans les commencements. Je ne crois pas que je doive préciser trop pleinement ou exactement les formes que prendra probablement cet appât ou cette attirance. Il vaut mieux ne pas évoquer ces forces en leur accordant plus d'attention qu'il n'est nécessaire. Je ne suppose pas que vous risquiez d'être détourné de la voie par aucune des grandes attractions pleines de périls. Quant aux moindres ennuis de la période intermédiaire, ils ne sont pas dangereux et peuvent facilement être corrigés lorsqu'on progresse dans le développement de la conscience, la discrimination et l'expérience sûre.

    Comme je vous l'ai dit, l'attirance vers l'intérieur, l'at­tirance à la pénétration au-dedans n'est pas indésirable et il n'y a pas besoin d'y résister. A un certain stade, elle peut s'accompagner d'une abondance de visions dues à la croissance de la vue intérieure qui voit des choses apparte­nant à tous les plans de l'existence. C'est un facteur puis­sant et précieux, qui aide à la sâdhanâ et qu'il ne faudrait pas décourager. Mais il faut le voir et l'observer sans attachement, en gardant toujours devant soi l'objet principal qui est la réalisation du Soi intérieur et du Divin. Ces au très choses ne devraient être considérées que comme épi­sodiques dans le développement de la conscience et utiles pour ce développement, non pas comme des buts en eux-mêmes, qu'il faille rechercher pour eux-mêmes. Il devrait aussi y avoir un mental discriminateur qui mette chaque chose à sa place et puisse faire halte pour comprendre son domaine et sa nature.

    Il y a des gens qui deviennent tellement désireux de ces expériences subsidiaires qu'ils commencent à perdre tout sens de la vraie distinction et de la démarcation entre différents domaines de réalité. Tout ce qui se passe dans ces expériences ne doit pas être tenu pour vrai ; il faut discriminer, voir ce qui est formation mentale ou cons­truction subjective et ce qui est vrai, ce qui n'est que sug­gestion des plans mental et vital plus vastes, ou qui n'a de réalité que sur ces plans, et ce qui a une valeur pour aider et guider dans la sâdhanâ intérieure ou la vie extérieure. 


Sri Aurobindo, Lettres Sur Le Yoga

— L'Infini





Les impressions que l'on a lorsqu'on approche de l'Infinité ou qu'on y entre ne sont pas toujours tout à fait les mêmes ; beaucoup dépend de la manière dont le mental en approche. Certains l'éprouvent d'abord comme une infinité au-dessus, d'autres comme une infinité alentour et dans laquelle le mental disparaît (en tant qu'énergie) en perdant ses limites. Certains ne sentent pas l'absorption de l'énergie mentale en l'Infini, mais une chute en une complète inactivité ; d'autres le sentent comme une perte ou disparition de l'énergie en l'Existence pure. Certains ressentent d'abord l'Infini comme une vaste existence en quoi tout sombre ou disparaît ; d'autres encore comme un océan infini de Puissance au-dessus. Si certai­nes écoles bouddhistes l'ont éprouvé dans leur expérience comme un shûnya sans limite, les védântistes au contraire le voient comme une Existence-en-soi positive, sans attri­buts, absolue. Sans doute les expériences diverses furent-elles érigées en philosophies diverses, chacun donnant sa propre conception pour définitive, mais derrière chacune de ces conceptions il y avait une telle expérience. Ce que vous décrivez comme une substance-mental complètement vidée, dépourvue d'énergie et de lumière, complètement inerte, est l'état de paix neutre et d'immobilité vide qui est ou peut être une étape de la libération. Mais cet état peut ensuite se sentir empli de l'existence, de la conscience (qui porte en elle l'énergie) et finalement de l'ânanda infi­nis. 

Sri Aurobindo, Lettres Sur Le Yoga

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