Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo SRI AUROBINDO - YOGA INTEGRAL: octobre 2015

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

Le secret de la grande libération spirituelle



   Le seul objet vers lequel doive se tourner le mental qui a la connaissance spirituelle, est l'Éternel; fixée sur lui, l'âme obnu­bilée ici-bas et enveloppée dans les brumeuses bandelettes de la Nature recouvre et goûte sa conscience native originelle qui est d'immortalité et de transcendance. Être fixé sur le transitoire, être limité par le phénomène, c'est accepter l'état mortel; la vérité constante en les choses qui périssent, est cela qui est intérieur et immuable. Quand elle se laisse tyranniser par les apparences de la Nature, l'âme se manque et tourbillonne au hasard dans le cycle des naissances et des morts de ses corps. Y suivant passionnément et sans fin les mutations de la personna­lité et ses intérêts, elle ne peut se retirer pour posséder son existence essentielle, impersonnelle et non née. En être capable, c'est se trouver soi-même et revenir à son être vrai qui assume ces naissances mais ne périt pas lorsque périssent ses formes. Goûter l'éternité dont la naissance et la vie ne sont que des circonstances extérieures, telle est la véritable immortalité de l'âme et sa vraie transcendance. Cet Éternel, ou cette Éternité est le Brahman. Le Brahman est Cela qui est transcendant et Cela qui est universel; c'est l'esprit libre qui, à l'avant, soutient le jeu de l'âme avec la nature et qui, derrière, assure leur impérissable unité; c'est à la fois le mutable et l'immuable, le Tout qui est l'Un. En son suprême statut supracosmique, le Brahman est une Éternité transcendante sans origine ni chan­gement, bien au-dessus des oppositions phénoménales de l'exis­tence et de la non-existence, de la persistance et de l'éphémère, entre lesquelles se meut le monde extérieur. Mais une fois qu'on l'a vu dans la substance et la lumière de cette éternité, le monde lui aussi devient autre qu'il ne semble au mental et aux sens; car alors nous ne voyons plus l'univers comme un tourbillon de mental, de vie et de matière, ni comme la masse des détermina­tions de l'énergie et de la substance, mais comme cet éternel Brahman lui-même. Un esprit qui, incommensurablement, remplit de soi, entoure de soi tout ce mouvement – car, en fait, le mouvement aussi est lui – et qui, sur tout ce qui est fini, jette la splendeur de son vêtement d'infinité, un esprit qui n'a pas de corps et en a des millions, dont les mains puissantes et les pieds rapides nous encerclent de tous côtés, dont les têtes et les yeux et les visages sont les innombrables faces que nous voyons, de quelque côté que nous nous tournions, dont partout l'oreille écoute le silence de l'éternité et la musique des mondes, est l'Être universel en l'étreinte de qui nous vivons.

    Toutes les relations de l'Âme et de la Nature sont des circonstances dans l'éternité du Brahman; le sens et la qualité, ce qui les réfléchit et les constitue, sont les moyens qu'a cette Âme suprême pour représenter les opérations que son énergie dans les choses libère sans cesse dans le mouvement. Le Brahman est lui-même au-delà de la limitation des sens et voit toutes choses mais pas avec les yeux physiques, entend toutes choses mais pas avec les oreilles physiques, est conscient de tout mais pas avec le mental limitatif – le mental qui représente sans être vraiment capable de savoir. Déterminé par aucune qualité, il possède et détermine en sa substance toutes les qualités et jouit de cette action qualitative de sa Nature. Il n'est attaché à rien, lié par rien, fixé à rien de ce qu'il fait; calme, il supporte en une vaste liberté immortelle toute l'action, tout le mouvement, toute la passion de sa Shakti universelle. Il devient tout ce qui est dans l'univers; ce qui est en nous est lui, et tout ce dont  nous faisons hors de nous l'expérience est lui. L'intérieur et l'extérieur, le lointain et le proche, le mouvant et le non-mouvant, tout cela il l'est à la fois. Il est la subtilité du subtil qui dépasse notre connaissance comme il est la densité de la force et de la substance qui s'offrent à la compréhension de notre mental. Il est indivisible et il est l'Un, mais semble se diviser en formes et en créatures et apparaît comme toutes ces existences séparées. Toutes choses peuvent rentrer en lui, peuvent en l'Esprit retourner à l'indivisible unité de leur existence en soi. Tout naît éternellement de lui, est soutenu en son éternité, repris éternellement en son unité. Il est la lumière de toutes les lumières, il est lumineux par-delà toute l'obscurité de notre ignorance. Il est la connaissance et l'objet de la connaissance. La connaissance spirituelle supramentale qui inonde le mental illuminé et le transfigure, est cet esprit se manifestant dans la lu­mière à l'âme qu'obscurcit la force et qu'il a émise dans l'action de la Nature. Cette Lumière éternelle est dans le cœur de tous les êtres; c'est lui le connaissant secret du champ, kshétradjna, et, en tant que Seigneur, il préside dans le cœur des choses à cette province et à tous ces royaumes de son devenir et de son action manifestés. Lorsque l'homme voit en lui-même ce Divin éternel et universel, lorsqu'il prend conscience de l'âme en toutes choses et qu'il découvre l'esprit dans la Nature, lorsqu'il sent tout l'univers comme une vague s'élevant en cette Éternité et tout ce qui est comme une unique existence, alors il revêt la lumière du Divin et il est libre au milieu des mondes de la Nature. Le secret de la grande libération spirituelle réside en une connaissance divine et en ce que l'on se tourne parfaitement et avec adoration vers ce Divin. La liberté, l'amour et la con­naissance spirituelle nous élèvent depuis la nature mortelle jusqu'à l'être immortel.
   
    L'Âme et la Nature ne sont que deux aspects du Brahman éternel, une dualité apparente sur quoi reposent les opérations de son existence universelle. L'Âme est sans origine et elle est éternelle; la Nature elle aussi est sans origine et éternelle; mais les modes de la Nature et les formes inférieures qu'elle revêt pour notre expérience consciente ont une origine dans les transactions de ces deux entités. Ils viennent d'elle, portent de son fait la chaîne extérieure de la cause et de l'effet, de l'action et de ses résultats, de la force et de ses opérations, de tout ce qui est ici-bas transitoire et mutable. Ils ne cessent de changer, et l'âme et la Nature semblent changer avec eux, mais ces deux pouvoirs sont en soi éternels et toujours les mêmes. La Nature crée et agit, l'Âme jouit de sa création et de son action; mais dans cette forme inférieure de son action, la Nature change cette jouissance en les obscures et mesquines figures de la douleur et du plaisir. L'âme, le Pourousha individuel est à toute force attiré par les opérations qualitatives de la Nature, et cette attraction des qualités l'entraîne sans cesse en des naissances de toutes sortes où il savoure la variation et les hauts et les bas, le bien et le mal de l'existence dans la Nature. Mais ce n'est que l'expérience extérieure de l'âme conçue comme étant mutable par identification avec la Nature mutable. Siégeant dans ce corps, se trouve notre Divinité, qui est celle de la Nature aussi bien, le Moi suprême, Paramâtman, l'Âme suprême, le puissant Seigneur de la Nature, qui observe son action, sanctionne ses opérations, soutient tout ce qu'elle fait, commande à sa multiple création, jouit avec la joie universelle qui lui est propre de ce jeu des figures de son être qu'elle lui propose. Telle, est la connais­sance de soi à laquelle nous devons accoutumer notre mentalité avant de pouvoir vraiment nous connaître comme éternelles portions de l'Éternel. Une fois cela établi, peu importe com­ment l'âme en nous peut se comporter extérieurement dans ses transactions avec la Nature; quoi qu'elle puisse sembler faire, ou si fort qu'elle puisse sembler revêtir telle ou telle représentation de la personnalité, de la force active et de l'ego incarné, elle est libre en soi, n'est plus liée à la naissance, car elle est, grâce à l'impersonnalité du moi, une avec l'esprit intérieur et non né de l'existence. Cette impersonnalité est notre union avec le su­prême Je sans ego de tout ce qui est dans le cosmos.

    Cette connaissance vient par une méditation intérieure grâce à laquelle le moi éternel nous devient apparent dans notre existence essentielle. Ou elle vient par le Yoga des sânkhyens, la séparation de l'âme d'avec la nature. Ou elle vient par le Yoga des oeuvres dans lequel la volonté personnelle se dissout grâce à l'ouverture de notre mental, de notre coeur et de toutes nos forces actives au Seigneur qui assume l'ensemble de nos oeuvres dans la nature. La connaissance spirituelle peut être éveillée par la pression de l'esprit en nous, par son appel à tel ou tel Yoga, tel ou tel chemin vers l'unité. Ou elle peut nous venir de ce que nous entendons d'autres personnes parler de la vérité et de ce que le mental est alors façonné selon le sens de ce qu'il écoute avec foi et concentration. Mais de quelque manière que nous y accédions, cette connaissance nous transporte au-delà de la mort vers l'immortalité. Bien au-dessus des transactions mutables de l'âme avec le caractère mortel de la nature, elle nous montre notre Moi le plus haut sous l'aspect du suprême Sei­gneur des actions de la nature, un et égal en tous les objets et toutes les créatures, non né quand un corps est revêtu, non soumis à la mort quand périssent tous ces corps. Telle est la vraie vision, la vision de ce qui, en nous, est éternel et immortel. En percevant de plus en plus cet esprit égal en toutes choses, nous passons dans cette égalité de l'esprit; en demeurant de plus en plus en cet être universel, nous devenons nous-mêmes des êtres universels; en devenant de plus en plus conscients de cet éternel, nous revêtons notre propre éternité et sommes à jamais. Nous nous identifions avec l'éternité du moi, et non plus avec la limitation et la détresse de notre ignorance mentale et physique. Nous voyons alors que toutes nos oeuvres sont un mouvement évolutif et une opération de la Nature et que notre moi réel est non point l'exécutant, mais le libre témoin et le seigneur de l'action, et celui qui en jouit sans y être attaché. Toute cette surface de mouvement cosmique est un devenir divers d'exis­tences naturelles dans l'Être éternel unique, tout est épandu, manifesté, déployé par l'Énergie universelle à partir des se­mences de son Idée à elle dans les profondeurs de son existence à lui; mais l'esprit, même s'il assume les opérations qu'elle exécute en notre corps, et même s'il en jouit, n'est pas affecté par l'état mortel: il est éternel, par-delà la naissance et la mort; il n'est pas limité par les personnalités multiples qu'il endosse en elle, car il est le moi suprême et unique de toutes ces personnalités; les mutations de la qualité ne le modifient pas, car il n'est pas déterminé par la qualité; il n'agit pas, même dans l'action, kartâram api akartâram, car il supporte l'action de la nature en étant spirituellement et parfaitement libre de ses effets; il est en réalité l'origine de toutes les activités, mais n'est en rien modifié ni affecté par le jeu de sa Nature. De même que l'éther qui imprègne tout est inaffecté par les multiples formes qu'il revêt, et demeure inchangé, demeure toujours la même substance originelle subtile et pure, de même cet esprit, lorsqu'il a fait et est devenu toutes les choses possibles, demeure-t-il tout du long la même pure essence immuable, subtile et infinie. Telle est la suprême condition de l'âme, parâ gatih, tel est l'être divin, telle est la nature divine, mad-bhâva, et quiconque accède à la connaissance spirituelle, se hausse à cette suprême immortalité de l'Éternel.
 
   Ce Brahman, ce connaissant éternel et spirituel du champ de son propre devenir naturel, cette Nature – perpétuelle énergie du Brahman – qui se convertit en ce champ, cette immortalité de l'âme dans la nature mortelle: ces choses font ensemble toute la réalité de notre existence. L'esprit au-dedans, lorsque nous nous tournons vers lui illumine de toute la splendeur des rayons de sa vérité le champ entier de la Nature. À la lumière de ce soleil de la connaissance, l'œil de la connaissance s'ouvre en nous; nous vivons dans cette vérité, et non plus dans cette ignorance. Nous percevons alors que de nous limiter à notre présente nature mentale et physique était une erreur de l'obscu­rité, nous sommes alors affranchis de la loi de la Prakriti infé­rieure, de la loi du mental et du corps, nous atteignons alors à la suprême nature de l'esprit. Ce splendide, ce haut changement est le dernier, le devenir infini et divin où l'on se dépouille de la nature mortelle et où l'on revêt l'existence immortelle.

Sri Aurobindo, 
ESSAI SUR LA GUITA, Chp. XIII Le champ et le connaissant du champs, "Le connaissant secret du champ" p 457 -461



Centenaire de Sri Aurobindo



C’est aujourd’hui que commence l’année du centenaire de Sri Aurobindo. Quoiqu’il ait quitté son corps, il est toujours parmi nous, vivant et agissant.
Sri Aurobindo appartient à l’avenir; il est le messager de l’avenir et nous montre toujours le chemin pour hâter la réalisation d’un glorieux avenir façonné par la Volonté divine.
Tous ceux qui veulent collaborer au progrès de l’humanité et au vrai destin de l’Inde doivent s’unir dans une clairvoyante aspiration et un travail éclairé.
Mère, 15 août 1971

Le meilleur hommage que nous puissions rendre à Sri Aurobindo à l’occasion de son centenaire est une soif de progrès et une ouverture de tout notre être à l’Influence divinedont il est le messager sur terre.
Mère,15 août 1972

Satprem


Sri Aurobindo et l'avenir de la Terre



Ce texte a été écrit pour All India Radio, émission du 5 février 1972, à l'occasion du Centenaire de Sri Aurobindo.


Parfois, une grande Pensée errante voit les âges encore inaccomplis, saisit la Force dans sa coulée éternelle et précipite sur la terre la vision puissante qui est comme un pouvoir de rendre réel ce qu'elle voit - le monde est une vision qui devient vraie, son passé et son présent ne sont pas vraiment le résultat d'une obscure poussée qui remonte du fonds des temps, d'une lente accumulation de sédiments qui peu à peu nous façonnent - et nous étouffent et nous enferment - mais la puissante attraction dorée du Futur qui nous tire malgré nous, comme le Soleil tire le lotus de la boue, et nous contraint à une gloire plus grande que ni notre boue ni nos efforts ni nos triomphes du présent ne pouvaient prévoir ni créer.

Sri Aurobindo est cette vision et ce pouvoir de précipiter le Futur dans le présent. Un instant, il a vu, et ce qu'il a vu, des âges vont l'accomplir et des millions d'hommes, sans savoir, vont se mettre en quête de l'imperceptible frémissement nouveau qui a envahi l'atmosphère de la terre. Ainsi, d'âge en âge, de grands êtres viennent parmi nous ouvrir un grand pan de Vérité dans le sépulcre du passé. Et ces êtres-là, en vérité, sont les grands destructeurs du passé, ils viennent avec l'épée de la Connaissance et brisent en miettes nos fragiles empires.

Cette année, nous allons célébrer le centenaire de Sri Aurobindo - il est à peine connu d'une poignée d'hommes, et pourtant son nom retentira encore quand nos grands hommes d'aujourd'hui ou d'hier seront ensevelis sous leurs propres décombres. Son œuvre est discutée des philosophes, louée par des poètes, on parle de sa vision sociologique, de son yoga - mais Sri Aurobindo est une ACTION vivante, une Parole qui se réalise, et nous pouvons chaque jour, sous les mille circonstances qui semblent déchirer la terre et renverser ses structures, voir le premier reflux de la Force qu'il a mise en branle. Au début de ce siècle, quand l'Inde se battait encore contre la domination britannique, Sri Aurobindo s'écriait: "Ce n'est pas seulement une révolte contre l'empire britannique qui est nécessaire, mais une révolte contre la Nature universelle tout entière! " [Evening talks, p. 45].

Car le problème est fondamental. Il ne s'agit pas d'apporter une philosophie nouvelle au monde ni de nouvelles idées ni des illuminations soi-disant. Il ne s'agit pas de rendre la Prison plus habitable ni de doter l'homme de pouvoirs toujours plus fantastiques - armé de ses microscopes et télescopes, le gnome humain reste gnome, douloureux et impuissant; nous envoyons des fusées sur la lune, mais nous ne connaissons pas notre propre cœur. Il s'agit, dit Sri Aurobindo, de "créer une nouvelle nature physique qui sera l'habitation d'un être supramental au sein d'une nouvelle évolution" [On Himself, p. 172]. Car, en vérité, dit-il, "l'imperfection de l'homme n'est pas le dernier mot de la Nature, mais sa perfection non plus n'est pas le dernier pic de l'Esprit" [The Life Divine, p. 680]. Par-delà l'homme mental que nous sommes, s'ouvre la possibilité d'un autre être qui prendra la tête de l'évolution, comme un jour l'homme a pris la tête de l'évolution parmi les singes. Si "l'animal, dit Sri Aurobindo, est un laboratoire vivant au sein duquel la Nature a, dit-on, façonné l'homme, l'homme lui-même est peut-être bien aussi un laboratoire vivant et pensant au sein duquel, et avec la coopération consciente duquel, la Nature façonnera le surhomme, le dieu" [The Life Divine, p. 5]. Et Sri Aurobindo vient nous dire comment faire cet autre être, cet être supramental - et non seulement nous le dire, mais le faire, ouvrir le chemin de l'avenir, précipiter sur la terre le rythme de l'évolution, la vibration nouvelle qui remplacera la vibration mentale, comme une pensée, un jour, est venue troubler la lente routine des bêtes, et nous donnera le pouvoir de briser les murs de notre prison humaine.

Et elle craque déjà, notre prison: "La fin d'un stade de l'évolution, annonçait Sri Aurobindo, est généralement marquée par une puissante recrudescence de tout ce qui doit sortir de l'évolution" [The Ideal of the Karmayogin, p.42]. Cet éclatement paroxystique de toutes les vieilles formes, nous le voyons partout autour de nous - nos frontières, nos Églises, nos lois, nos morales s'écroulent de tous les côtés. Et elles ne s'écroulent pas parce que nous sommes méchants, immoraux, irréligieux, ni parce que nous ne sommes pas assez rationnels, pas assez savants, pas assez humains - mais parce que nous en avons fini d'êtres humains ! Fini de la vieille mécanique - parce que nous sommes en transition vers AUTRE CHOSE. Ce n'est pas une crise morale que traverse la terre, c'est une "crise évolutive". Nous ne sommes pas en marche vers un monde meilleur - ni pire -, nous sommes en pleine MUTATION vers un monde radicalement différent, aussi différent que le monde de l'homme pouvait l'être du monde des singes au Tertiaire. Nous entrons dans une nouvelle ère, dans un quinquennaire supramental. On quitte son pays, on erre sur les routes, on se met en quête de drogues, en quête d'aventure, on fait des grèves ici, des réformes là et des révolutions encore - mais en fait, il n'y a rien de tout cela. On est en quête de l'être nouveau, sans le savoir, on est en pleine révolution humaine.

Et Sri Aurobindo nous donne la clef. Il est possible que le sens de notre propre révolution nous échappe parce que nous voulons prolonger l'existant - le raffiner, l'améliorer, le sublimer. Mais le singe, lorsqu'il était en pleine révolution simiesque pour produire un homme, aurait peut-être commis la même erreur; il aurait peut-être voulu faire un super-singe, capable de mieux grimper aux arbres, mieux chasser, mieux courir, doté de plus d'agilité et plus de malice. Nous aussi, avec Nietzsche, nous avons voulu faire un "surhomme", qui n'était qu'un super-homme; ou avec les spiritualistes faire un super-saint, mieux doté de vertu et de sagesse. Mais nous n'avons que faire de la sagesse et de la vertu humaine ! Même poussées à leur paroxysme, c'est encore la vieille pauvreté dorée, l'envers glorieux de notre tenace misère: "La surhumanité, dit Sri Aurobindo, n'est pas l'homme grimpé à son zénith naturel, pas un degré supérieur de la grandeur humaine, de la connaissance, du pouvoir, de l'intelligence, de la volonté… du génie… de la sainteté, de l'amour, la pureté ou la perfection humaines " [The Hour of God, p. 6]. C'est AUTRE CHOSE, une autre vibration d'être, une autre conscience.

Mais si cette conscience ne se situe pas sur les sommets de l'humain, où donc la trouverons-nous ? … Peut-être, tout simplement, dans ce que nous avons le plus négligé depuis que nous sommes entrés dans le cycle mental - le corps. C'est notre base, notre fondement évolutif, la vieille souche à laquelle nous revenons toujours, et qui se rappelle douloureusement à nous en nous faisant souffrir, vieillir, mourir. "Cette imperfection même, assure Sri Aurobindo, recèle l'impulsion vers une perfection plus haute et plus complète. Elle contient l'ultime fini qui, pourtant, aspire au Suprême Infini. Dieu est enfermé dans la boue… mais le fait même de cet emprisonnement impose la nécessité de faire une brèche dans la prison" [Sri Aurobindo came to me, p. 414]. C'est là, le vieux Mal jamais guéri, la racine jamais changée, l'obscure matrice de notre misère, à peine différente de ce qu'elle était du temps des lémuriens. C'est cette substance physique qu'il faut transformer, sinon elle jettera bas, l'un après l'autre, tous les artifices humains ou surhumains que nous voudrons coller dessus. Ce corps, cette substance physique, cellulaire, contient "des pouvoirs tout-puissants" [Savitri, 4.3, p. 420], une conscience muette qui possède toutes les lumières et toutes les infinitudes, autant que les immensités mentales et spirituelles - car, en vérité, tout est Divin, et si le Seigneur des univers n'est pas dans une seule toute petite cellule, il n'est nulle part. C'est cette obscure Prison originelle, cellulaire, qu'il faut briser; et tant que nous ne briserons pas celle-là, nous continuerons à tourner en vain dans les cercles d'or, ou de fer, de notre prison mentale. "Les soi-disant lois absolues de la Nature, dit Sri Aurobindo, … sont simplement un équilibre établi par la Nature, un sillon dans lequel elle s'est habituée à travailler afin d'obtenir certains résultats. Mais si vous changez de conscience, le sillon changera aussi, inévitablement " [Evening Talks, p. 92].

Telle est la nouvelle aventure à laquelle Sri Aurobindo nous convie, une aventure dans l'inconnu de l'homme. Bon gré, mal gré, la terre entière est en train de passer dans un nouveau sillon - mais pourquoi pas de bon gré ? Pourquoi ne collaborerions-nous pas à cette aventure jamais courue, à notre propre évolution au lieu de répéter mille fois la vieille histoire, au lieu de courir après des paradis artificiels qui n'étancheront jamais notre soif, ou des paradis de l'au-delà qui laissent la terre pourrir avec nos corps ? "Pourquoi commencer si c'est pour en sortir ! s'écriait la Mère, qui continue l'œuvre de Sri Aurobindo. A quoi sert-il d'avoir tant lutté, tant souffert, d'avoir créé quelque chose qui, dans son apparence extérieure au moins, est si tragique et dramatique, si c'est simplement pour vous apprendre à en sortir - il aurait mieux valu ne pas commencer ! … L'évolution n'est pas un chemin tortueux pour en revenir - un peu meurtri - au point de départ; c'est, tout au contraire, dit la Mère, pour apprendre à la création totale la joie d'être, la beauté d'être, la grandeur d'être, la majesté d'une vie sublime, et le développement perpétuel, perpétuellement progressif, de cette joie, de cette beauté, de cette grandeur - alors, tout a un sens " [Entretiens 1958, p. 231].

Ce corps, cette obscure bête de somme que nous habitons, est le terrain d'expérience du yoga de Sri Aurobindo - qui est un yoga de la terre entière, car on peut comprendre que si, un seul être parmi nos millions de souffrances, arrive à opérer le saltus évolutif, la mutation du prochain âge, la face de la terre s'en trouvera radicalement changée et tous les soi-disant pouvoirs dont nous nous glorifions aujourd'hui apparaîtront comme des jeux d'enfant devant ce rayonnement de l'esprit tout-puissant incarné dans un corps. Sri Aurobindo nous dit que c'est possible - non seulement que c'est possible, mais que ça se fera. C'est en train de se faire. Et tout dépend, peut-être, non pas tant d'un effort sublime de l'humain pour transcender ses limites - car c'est encore employer nos propres forces humaines -, que d'un appel, d'un cri conscient de la terre vers cet être nouveau, qu'elle porte déjà en elle-même. Tout est là, déjà, dans nos cœurs, la suprême Source qui est le suprême Pouvoir - mais il faut que nous l'appelions dans notre forêt de béton, il faut que nous comprenions notre sens, il faut que le cri multiplié de la terre, de ces millions d'hommes qui n'en peuvent plus, n'en veulent plus de leur prison, crée une faille par où jaillira la vibration nouvelle. Alors, toutes ces lois apparemment inéluctables qui nous enfermaient dans leur sillon héréditaire et scientifique s'écrouleront devant la Joie des "fils aux yeux de soleil" [Savitri, 3.4, p. 389]. "N'espérez rien de la mort, dit la Mère, la vie est votre salut. C'est en elle qu'il faut se transformer. C'est sur terre qu'on progresse, c'est sur terre qu'on réalise. C'est dans le corps qu'on remportera la Victoire" [Commentaires sur le Dhammapada, p. 23].

"Et ne laisse point la prudence du monde murmurer à tes oreilles, dit Sri Aurobindo, car c'est l'heure de l'inattendu" [The Hour of God, p. 4]


Pondichéry, le 9 décembre 1971

Satprem

Publié en 1973, réédité en 1975 par
Sri Aurobindo Ashram, Pondichéry, Inde

Première rencontre de Mère et Sri Aurobindo

http://sriaurobindo-yoga-integral.blogspot.fr/2015/03/la-conscience-de-la-mere.html

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SAVITRI (présentation)

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Sri Aurobindo sur le blog de nelfontaine (médiapart) : 
(http://blogs.mediapart.fr/blog/nelfontaine/190814/sri-aurobindo-2)
1) La vie révolutionnaire
2) En lisant Sri Aurobindo
3) La Terre est un lieu d’évolution

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