Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo SRI AUROBINDO - YOGA INTEGRAL: septembre 2017

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

Prémices des Etats-Unis d'Europe



                     Nous avons dû nous étendre longuement sur les possibilités d'un groupement de forme impériale car l'évolution de l'État impérial est l'un des phénomènes princi­paux du monde moderne ; elle a régi les tendances politiques de la dernière partie du dix-neuvième siècle et du début du vingtième, comme l'évolution de la nation libre et démocra­tique a régi l'époque qui précédait la nôtre. L'idée dominante de la Révolution française était la formule du "peuple libre et souverain", et, en dépit de l'élément de cosmopolitisme intro­duit dans la formule révolutionnaire par l'idéal de fraternité, l'idée française est en fait devenue l'affirmation de la "nation libre et indépendante, se gouvernant démocratiquement elle-même". Au temps de la Grande Guerre, cet idéal ne s'était pas encore tout à fait imposé, même dans le monde occidental: l'Europe centrale n'était que partiellement démocratisée et la Russie avait tout juste commencé à tourner son regard vers le but commun; même maintenant, des peuples, ou des fractions de peuples européens, sont encore assujettis*. Néanmoins, mal­gré toutes les imperfections, l'idée de nation libre et démocra­tique avait pratiquement triomphé en Amérique et en Europe. Les peuples d'Asie aussi avaient accepté l'idéal fondamental du dix-neuvième siècle, et, bien que les premières tentatives du nationalisme démocratique dans les pays orientaux comme la Turquie, la Perse, l'Inde ou la Chine, n'aient pas été très heureuses, l'influence profonde, mondiale, de cette idée ne peut être mise en doute par aucun observateur attentif. Dès lors, quelles que soient les modifications qui puissent survenir par la suite ou les tendances nouvelles qui puissent surgir et les réactions contraires qui puissent faire obstacle, il n'est guère douteux que les principaux dons de la Révolution française persisteront et s'universaliseront comme des acquisitions per­manentes et des éléments indispensables de l'ordre futur du monde, c'est-à-dire une conscience nationale et un gouverne­ment national autonome, la liberté et la lumière pour le peuple, autant d'égalité et de justice sociales qu'il est indispensable à la liberté politique, car un gouvernement démocratique du peuple par le peuple est incompatible avec toute forme d'iné­galité rigide et établie.
    Mais avant que la grande impulsion du dix-neuvième siècle ait pu émerger partout, avant même qu'elle ait pu s'installer tout à fait en Europe, une nouvelle tendance a surgi, une idée nouvelle s'est emparée du mental progressif de l'humanité : l'idéal de l'État parfaitement organisé. Fondamentalement, l'idéal d'un État parfaitement organisé est d'origine socialiste; il se fonde sur le deuxième principe de la grande formule révolutionnaire : l' "Égalité"; de même que le mouvement du dix-neuvième siècle s'était centré sur le premier : la "Liberté". Le premier élan du grand bouleversement européen n'avait produit qu'une certaine sorte d'égalité politique. Un nivelle­ment social incomplet laissait encore intactes les inégalités, et surtout cette forme de prépondérance politique qu'aucune so­ciété fondée sur la concurrence ne peut éliminer : la prépon­dérance des possédants sur les non-possédants, l'inégalité de ceux qui réussissent dans la lutte pour la vie contre ceux qui réussissent moins bien, inégalité rendue inévitable par les dif­férences de capacités, les chances inégales, le handicap des circonstances et du milieu. Le socialisme essaye donc de se débarrasser de cette inégalité tenace en détruisant la forme concurrentielle de société pour y substituer une forme co­opérative. Il existait bien autrefois une forme coopérative de société humaine — la commune —, mais restaurer la com­mune comme unité de base, impliquerait pratiquement le re­tour à la Cité antique, et, comme ce n'est plus possible étant donné les groupements plus vastes et les complexités plus grandes de la vie moderne, l'idée socialiste ne peut donc se réaliser que par un État national rigoureusement organisé. Éliminer la pauvreté, non par l'idée sommaire d'une distribution égale mais par la mise en commun de tous les biens et leur gestion par un État organisé; égaliser autant que possible les chances et les capacités par une éducation et une instruction universelles confiées également à l'État organisé, telle est l'idée fondamentale du socialisme moderne. Elle implique une abro­gation, du moins une rigoureuse diminution de la liberté indi­viduelle. Il est vrai que le socialisme démocratique reste encore attaché à l'idéal de liberté politique du dix-neuvième siècle; il déclare que chacun dans l'État a un droit égal de choisir, juger et changer les gouvernants ; mais il est prêt à sacrifier toutes les autres libertés à son idée centrale.
    Il semblerait donc que le progrès de l'idée socialiste con­duise à l'apparition d'un État national parfaitement organisé qui assurerait et contrôlerait l'instruction et l'éducation, admi­nistrerait et dirigerait toutes les activités économiques, et pour ce faire (autant que pour assurer l'efficacité, la moralité, la justice sociale et le bien-être parfaits), réglementerait toute la vie extérieure et intérieure des individus qui le composent, ou en tout cas la plus grande partie de leur existence. Ainsi s'opérerait, par le contrôle organisé de l'État, ce que les so­ciétés antérieures avaient tenté d'opérer par la pression sociale, par les règles coutumières rigoureuses, les codes ou les shâstras minutieux. Tel est l'aboutissement inévitable inhérent à l'idéal révolutionnaire. Le phénomène s'est manifesté tout d'abord sous la pression du danger extérieur pendant le gouvernement jacobin en France et le règne de la Terreur; puis il a émergé et tendu à se réaliser sous la pression des nécessités intérieures au cours de la dernière partie du dix-neuvième siècle ; pendant la guerre actuelle**, la combinaison des nécessités intérieures et extérieures l'a fait surgir, non pas dans toute sa pureté, mais avec un premier semblant rudimentaire de totalité. Ce qui n'était tout d'abord qu'un idéal lointain dont on s'approchait à petites étapes imparfaites, est devenu maintenant un pro­gramme tout à fait réalisable, comme l'a prouvé certaine démonstration pratique convaincante, bien que nécessairement hâtive et imparfaite***. Il est vrai que pour réaliser ce programme, même la liberté politique a dû être temporairement abolie, mais on peut soutenir que c'est là un accident momentané, une concession à une nécessité provisoire. En des conditions plus libres, ce qui s'est réalisé partiellement et momentanément par des gouvernements que le peuple avait consenti à investir d'une autorité absolue (provisoirement sans contrôle), pourrait l'être pleinement et d'une façon permanente par un État dé­mocratique autonome, quand la pression de la guerre ne serait plus à craindre.
    En ce cas, le proche avenir du groupe humain semblerait prendre la forme d'une série de nations autonomes, libres poli­tiquement, mais visant à une organisation sociale et écono­mique parfaite, et prêtes dans ce but à mettre toute la liberté individuelle sous le contrôle de l'État national organisé. De même que la France à la fin du dix-huitième siècle et au début du dix-neuvième, était la principale propagandiste et l'atelier expérimental de la liberté et de l'égalité politiques, de même l'Allemagne, à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, est devenue la principale propagandiste et le terrain d'expérience de l'idée d'État organisé. C'est de là qu'est partie la théorie du socialisme, et c'est là que sa propagande a été la plus efficace, tant et si bien qu'une grande partie de la nation s'est convertie au nouvel évangile ; c'est là aussi qu'ont été le plus minutieusement et le plus admirablement conçues et appliquées les grandes mesures socialistes, et celles qui ont soumis l'individu au contrôle de l'État pour le bien commun et le meilleur rendement de la nation. Peu importe que ces me­sures aient été l'œuvre d'un gouvernement anti-socialiste, mili­tariste et aristocratique; le seul fait qu'elles aient été prises, est la preuve de la force irrésistible de la nouvelle tendance; pour compléter le triomphe, il ne manquait plus que l'inévitable transfert du pouvoir administratif des mains de ses anciens détenteurs, aux mains du peuple.
  Au cours des dernières décades, nous avons vu les idées allemandes et les méthodes allemandes d'ingérence et de con­trôle de l'État, gagner du terrain en d'autres pays, même en Angleterre, foyer de l'individualisme. La défaite de l'Allemagne dans la guerre européenne n'a pas davantage signifié l'échec de son idéal, que la défaite de la France révolutionnaire et napo­léonienne par la coalition européenne, ni même le triomphe temporaire du système monarchique et aristocratique en France, n'ont empêché ses idées nouvelles de se répandre dans toute l'Europe. Même si le militarisme et le junkérisme alle­mands sont détruits, l'écroulement de la forme impériale de gouvernement ne peut que hâter le développement et la vic­toire plus complète de cela même qui était à l'œuvre derrière eux et les poussait à son service : la grande tendance moderne à l'État socialiste parfaitement organisé; tandis que le résultat évident de la guerre chez les nations qui s'opposaient à l'Alle­magne, était de les pousser plus rapidement vers le même idéal.
  Si aucun autre facteur n'était en jeu, le cours naturel des choses, aidé par l'anéantissement de la forme allemande d'im­périalisme, devrait logiquement conduire à une nouvelle organisation du monde sur la base d'un système d'États nationaux indépendants mais de plus en plus organisés, associés plus ou moins étroitement à des fins internationales mais préservant leur existence indépendante. Tel est l'idéal qui a charmé l'es­prit humain depuis l'apparition du grand ferment révolution­naire et qui semble encore une possibilité lointaine : l'idée d'une fédération de nations libres, d'un parlement du genre humain, d'une fédération du monde. Mais les circonstances présentes interdisent l'espoir de cet accomplissement idéal dans un proche avenir. Car les idées nationalistes, démocratiques et socialistes ne sont pas seules à l'œuvre dans le monde : l'impérialisme aussi est à l'ascendant. Rares sont les peuples d'Europe qui, pour le moment, se réduisent à leur seule na­tion ; chaque nation est libre en elle-même, mais chacune do­mine d'autres groupements humains, qui ne sont pas libres ou ne le sont que partiellement. Même la petite Belgique a son Congo ; le petit Portugal, ses colonies ; la petite Hollande, ses dépendances en Insulinde. Il n'est pas jusqu'aux petits États balkaniques qui n'aient aspiré à faire revivre un "empire" et à gouverner des peuples d'une autre nationalité que la leur ou caressé l'espoir de jouer un rôle prépondérant dans la péninsule. L'Italie de Mazzini a eu ses aventures impérialistes et ses ambitions en Tripolitaine, en Abyssinie, en Albanie, dans les îles grecques. Il est probable que cette tendance impérialiste se renforcera pendant quelque temps plutôt qu'elle ne s'affaiblira. Même l'idée de remodeler l'Europe d'après le strict principe des nationalités — qui au début de la guerre captivait les esprits libéraux d'Angleterre — ne s'est pas encore inscrite dans le domaine pratique, et même si elle se réalisait, il reste­rait encore toute l'Asie et toute l'Afrique comme une proie, pour les ambitions impérialistes des nations occidentales et du japon. Le désintéressement qui a conduit la majorité de l'Amé­rique à décréter la libération des Philippines et refréné le désir de profiter des troubles du Mexique, n'est pas possible pour la mentalité du vieux continent ; et il est douteux que pareil désin­téressement puisse subsister longtemps, même en Amérique, contre la marée montante du sentiment impérialiste. L'égoïsme national, l'orgueil de la domination et le désir d'expansion, gouvernent encore le mental humain, bien que leurs méthodes commencent à s'adoucir maintenant sous l'influence naissante de motifs supérieurs et d'une moralité nationale plus élevée. Tant que cet esprit ne sera pas radicalement changé, l'union du genre humain en une fédération de nations libres restera nécessairement une noble chimère.

* Ce n'est plus un fait évident, quoiqu'un état de vassalité subsiste encore à la place de l'assujettissement pur et simple. (Note de Sri Aurobindo) 
**De 1914-18.
***C'est ce qui s'est produit avec un prodigieux commencement de perfec­tion en Russie bolchevique, en Allemagne nazie, en Italie fasciste, et ce qui, par nécessité ou par choix, menaçait pendant un temps de se répandre partout. (Note de Sri Aurobindo)

Sri Aurobindo,
L' IDEAL DE L'UNITE HUMAINE,
CHAPITRE X, Les Etats-Unis d'Europe


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