Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo — L'art indien —

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

— L'art indien —

Du fait de la relative rareté des créations qui nous sont parvenues, l'impression que donne la peinture de l'Inde ancienne, voire même la peinture plus moderne, est moins forte que celle laissée par son architecture ou sa sculpture ; l'on a même supposé à cet art un épanouissement intermittent : après un sommeil de plusieurs siècles, il ne devrait sa renaissance ultérieure qu'aux Moghols et aux artistes hindous ayant subi leur influence. Il s'agit là toutefois d'une vue hâtive que ne peuvent étayer une recherche et une étude plus fouillées des témoignages disponibles. Il s'avère plutôt que la culture indienne a su de très bonne heure parvenir à un développement et à une utilisation savante de la couleur et de la ligne; les périodes de déclin succédant à des phases de renouveau vibrantes d'originalité – alternances obligées du mental collectif humain partout dans le monde –, elle persista néanmoins à employer cette forme d'expression tout au long de sa croissance et de sa grandeur désormais séculaires. Surtout, on ne peut plus nier aujourd'hui l'existence d'une très vieille tradition, d'une inspiration fondamentale et d'une approche esthétique typiquement indiennes, supposant une parenté d'inspiration entre l'art râjpoût le plus récent et le génie des œuvres les plus anciennes qu'illustre à merveille la beauté suprême des peintures rupestres d'Ajantâ.

Le support pictural est malheureusement plus périssable que celui dont disposent tous les autres grands moyens d'expression créatrice, aussi bien peu subsiste des anciens chefs-d'œuvre, mais ce peu témoigne néanmoins de l'immense corpus dont il est le vestige pâlissant. Sur les vingt-neuf grottes que compte Ajantâ, toutes ou presque, dit-on, étaient autrefois ornées de fresques; seize d'entre elles, il y a seulement quarante ans, conservaient encore la trace de peintures primitives, mais aujourd'hui elles ne sont plus que six à pouvoir témoigner de la grandeur de cet art antique, six grottes dont la décoration, victime d'une dégradation rapide, irrésistiblement s'altère, perdant chaque jour davantage la belle et chaude splendeur de ses couleurs originelles. Tous les autres témoignages de cette époque de création intensive, qui durent jadis couvrir le pays tout entier – temples, sanctuaires, résidences d'une élite cultivée, cours et retraites des nobles et des princes –, ont péri ; il ne subsiste, produits d'un génie comparable à celui qui nous valut Ajantâ, que quelques fragments épars : l'abondant décor des grottes de Bagh, des figures de femme dans deux chambres taillées à même le roc à Sigiriya (1). Ces vestiges représentent le travail, discontinu certes, de quelque six ou sept siècles et il ne demeure plus aujourd'hui aucune peinture antérieure au premier siècle de l'ère chrétienne, excepté quelques fresques, abîmées par de maladroites restaurations, datant du siècle précédent ; après le septième siècle, c'est le vide absolu, ce qui à première vue semble indiquer un déclin total de cet art, une interruption, voire une disparition. Heureusement, certaines découvertes tendent à prouver que cette tradition artistique date de plusieurs siècles; des mises à jour plus récentes, d'une facture différente, hors de l'Inde ou aux confins de l'Himâlaya, permettent de remonter jusqu'au douzième siècle, ce qui nous autorise à rattacher cet art à celui des écoles de peinture râjpoûte plus tardives. À l'image de celle de l'architecture et la sculpture, l'histoire de la peinture en Inde, bien que manifestant le génie de la race avec une vigueur inégale, est donc vieille elle aussi d'au moins deux mille ans.

Les créations héritées de l'antiquité sont l'œuvre de peintres bouddhistes, mais la peinture elle-même avait en Inde une origine pré-bouddhique. Les historiens tibétains affirment que tous les artisanats s'inspirent d'une tradition très ancienne, antérieure au Bouddha, et les preuves qui ne cessent de s'accumuler ne font que confirmer cette hypothèse. Au troisième siècle avant l'ère chrétienne, la théorie de cette discipline est, depuis longtemps déjà, solidement établie ; les six principes reconnus essentiels, les shadanga, correspondent en gros aux six canons de l'art chinois énumérés pour la première fois près de mille ans plus tard ; et un très ancien traité datant d'une époque pré-bouddhique expose un certain nombre de règles de l'art en même temps qu'il dresse un catalogue de traditions savantes et précises qui, développées plus tard dans les Shilpasoûtras, conduiront à l'élaboration scientifique de modèles et de techniques traditionnels. La littérature ancienne s'y réfère fréquemment et une telle insistance est impossible à concevoir si la pratique et l'appré­ciation des arts plastiques n'avaient été largement répandues parmi hommes et femmes des classes cultivées ; ces allusions fréquentes, ces digressions émues qui relatent l'enthousiasme suscité par la forme peinte et la beauté de la couleur, cet appel au sens décoratif, ce besoin de solliciter l'émotion esthétique, n'apparaissent pas seulement dans la poésie relativement récente d'un Kâlidâsa, d'un Bhavabhoûti et autres dramaturges classiques, mais aussi dans les pièces populaires plus anciennes de Bhâsa, voire même déjà dans les oeuvres épiques et les livres sacrés des bouddhistes. L'absence de tout exemple de cet art plus primitif encore nous empêche évidemment de dire avec une certitude absolue quels en étaient le caractère fondamental et la finalité secrète, s'il était d'origine sacrée et hiératique ou bien d'inspiration profane. Une hypothèse un peu trop rapidement ac­ceptée veut que cet art ait pris naissance à la cour des rois, au service d'une motivation et d'une inspiration strictement profanes ; si les œuvres héritées des artistes bouddhistes traitent principalement de sujets religieux, ou du moins rattachent des scènes familières de la vie quotidienne aux cérémonies et légendes bouddhiques, la littérature épique ou dramatique, il est vrai, célèbre généralement une peinture plus typiquement esthétique, personnelle, domestique ou civique : portraits, représentations de scènes ou incidents de la vie des princes et autres grands dignitaires, décorations murales de palais ou édifices tant publics que privés. Une inspiration similaire se retrouve d'ailleurs dans les peintures bouddhiques, notamment les portraits des épouses royales du souverain Kashyapa à Sigiriya, la représentation historique d'une ambassade de Perse ou le débarquement de Vijaya à Ceylan. Nous pouvons donc supposer sans craindre de trop nous avancer que, dès son origine, la peinture indienne, tant bouddhique que hindoue, comme plus tard la peinture râjpoûte, avec certes au début plus d'ampleur et une plus antique grandeur, a en gros toujours puisé son inspiration aux mêmes sources : elle voulut être essentiellement une interprétation de la religion, de la culture et de la vie du peuple indien. Une unité constante, une continuité de sens, le maintien d'une tradition essentielle en sont le trait saillant, le ressort primordial. C'est ainsi que les réalisations les plus anciennes d'Ajantâ sont à rapprocher des images bouddhiques les plus primitives, alors que les compositions suivantes s'apparentent aux bas-reliefs sculptés de Java. Force est de constater qu'un même génie, qu'une même tradition animent les styles successifs du décor d'Ajantà, pour se retrouver ensuite à Bagh et à Sigiriya, dans les fresques de Khotan, les enluminures de manuscrits bouddhiques de beaucoup postérieurs, avant de venir nourrir, sous d'autres formes et par d'autres procédés, la peinture râjpoûte. Ce principe d'unité et de continuité va nous permettre de dégager, pour les saisir enfin plus clairement, le but essentiel, la tendance et la finalité intimes, la méthode spirituelle de la peinture indienne, en précisant d'abord ce qui la distingue des productions occidentales, puis la différencie des réalisations artistiques plus familières et ressemblantes des autres pays d'Asie.
 
 1. L'on a depuis découvert, dans certains temples du Sud, d'autres peintures de grande qualité, qui s'apparentent en leur esprit et leur style aux œuvres d'Ajantâ.

Sri Aurobindo, Les fondements de la culture indienne — L'art indien —

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